Au nom du père, le droit de s’appeler «papa»

Un tribunal québécois maintient l’interdiction à un beau-père d’être appelé «papa» par l’enfant de sa conjointe, issue d’une précédente union. Une magistrate a récemment rappelé au couple de cette famille recomposée que le «papa» avait toujours ce droit exclusif, malgré ses accès restreints à l’enfant.


«Pour ces motifs, le tribunal (...) interdit à la mère à ce que son nouveau conjoint soit appelé papa», écrit la juge Suzanne Tessier, de la Cour supérieure du Québec en Outaouais.

Le dossier de droit familial, qui remonte à 2015, a été révisé en janvier dernier, au palais de justice de Gatineau.

L’affaire va au-delà de la seule dénomination paternelle. Il s’agit d’une affaire de garde et d’accès à une jeune fille, qui, malgré le passé trouble de son papa, éprouve de l’affection envers ce dernier.

Il est plutôt rare qu’une juge signe une interdiction formelle de permettre à un beau-père d’être appelé «papa».

«C’est rare qu’un juge mentionne (une telle chose) explique l’avocat du père, Me Michel Lewis. Mais cela peut arriver plus souvent, car on voit davantage de cas d’enfants qui n’ont pas vu un de leurs parents depuis un certain temps. Dans certaines séparations, malheureusement, les enfants s’habituent.»


Me Michel Lewis

La question en litige, soit l’accès du père à sa fille, se règle comme bien d’autres par la voie du tribunal.

Victime d’un grave accident en 2015, le père subit plusieurs blessures physiques et un traumatisme crânien sévère. À sa sortie de l’hôpital, le père abuse de substances et éprouve des problèmes en santé mentale. Une garde en établissement a été nécessaire. À cette époque, un premier jugement intérimaire établit les périodes de garde et émet l’interdiction «afin que l’enfant n’appelle pas le nouveau conjoint de madame, papa».

En 2022, le papa prouve au tribunal qu’il a changé de mode de vie, qu’il s’est pris en main. «Il témoigne sincèrement qu’il est abstinent, résume la juge Tessier. Depuis l’incident (...), il vit avec son frère et sa belle-sœur, parents de trois enfants.» Il devient le gardien de ses trois neveux et nièces âgés de 1 à 7 ans, pendant que son frère et sa belle-soeur sont au travail, la semaine.

«Il n’y a aucun élément ici me permettant de disqualifier cet homme comme parent et (...) les conditions mentales telles qu’observé aujourd’hui n’empêchent en rien (monsieur) d’agir comme parent responsable», écrit le psychiatre Pierre Tessier dans son rapport, en 2016.

Droits de l’enfant

Une fillette a aussi le droit au «papa», dit la juge. Elle cite l’article 33 du Code civil du Québec abordant «l’intérêt primordial de l’enfant (qui) doit dicter la conduite du Tribunal sur la disposition à favoriser la relation de l’enfant avec l’autre parent.» La magistrate dit avoir «à maintes reprises» une réticence de la mère à élargir les accès au père.

Entre temps, la pandémie de COVID-19 a compliqué les accès du père à sa fille. La juge a permis, en janvier dernier, un élargissement progressif des périodes d’accès du père à sa fille.

Les identités ne peuvent être révélées, selon une ordonnance de non-publication touchant de tels dossiers familiaux.


Me Alain Roy

Spécialistes surpris

Notaire spécialisé en droit de la famille et conseiller spécial du ministre de la Justice dans le dossier sur la réforme du droit de la famille au Québec, Me Alain Roy se dit surpris d’une telle ordonnance du tribunal.

«J’ai dû relire trois fois le libellé de cette interdiction, dit-il. Avec égard pour le travail de la juge, je trouve la rédaction de cette interdiction plutôt bancale. Personnellement, je n’ai jamais vu cela. Comment une ordonnance de la sorte peut être appliquée à la lettre ? Que faire si la jeune fille décide d’appeler son beau-père ‘papa’? Qui peut agir en cas de non-respect de cet ordre du tribunal?»

Avocate spécialisée en droit familial, Me Sylvie Shrim affirme que ce type de message sur l’appellation d’un parent par un juge n’est pas unique. «J’ai vu des plaintes ou des demandes en ce sens, dit-elle. Mais si un enfant veut appeler son beau-père «papa», que peut-on faire?»

Me Roy concède qu’il est habituel pour tribunal de «passer le message» aux parents sur la nécessité de bien définir avec l’enfant qui est ‘papa’ et qui et ‘maman’. «Mais une ordonnance formelle comme celle-ci, j’avoue que cela me surprend.» Le notaire précise que les beaux-parents peuvent, au-delà la dénomination, participer à l’épanouissement d’un enfant.