Ceci n’a pas été cueilli au milieu de la nuit sur un réseau social, ou sur le mur d’une toilette de taverne. C’est arrivé un samedi matin dans ma boite courriel. À mon nom.
Apparemment, l’éditorial que je signais ce jour-là n’avait pas plu à mon interlocuteur, un certain Keven.
Je l’ai lu, déchiffré, montré à des proches, des collègues.
Et puis ça s’est arrêté là. J’aurais porté plainte à la police s’il y avait eu menace.
Après des décennies en journalisme, dont la moitié à publier des textes d’opinion, j’en ai vu de toutes les couleurs. Ce message fait partie des lourds, très lourds.
Mais il n’a pas atteint la journaliste.
D’habitude, quand je reçois une lettre de bêtises, je réponds : « Que pensiez-vous accomplir au juste avec un tel message ? Veuillez cesser de m’écrire. »
Là, je ne m’en suis même pas donné la peine.
Quand on vous dit que la crise actuelle provoque de la violence verbale, qu’on attaque moralement et même parfois physiquement les journalistes, ça ressemble à ça.
Certes, on n’a pas essayé de m’empêcher, manu militari, de faire des reportages comme c’est arrivé maintes fois à des collègues. Je n’ai pas reçu de crachats réels en plein visage et je n’ai pas retrouvé de menaces directes dans les 1200 et quelques commentaires sur Facebook au sujet de ce texte du 29 janvier intitulé Les camions de la colère.
Mais j’ai eu droit à des textos sur Messenger me souhaitant notamment « un avenir funèbre », alors qu’une autre écrivait sous mon article: « chu pas rancunière l’habitude, mes la, (après) deux ans de mensonge d’intimidation et d’humiliation humaine, y mérite le bûcher ses journalistes pas de cœurs ».
Pas mal tous les journalistes qui couvrent ou commentent directement les événements d’Ottawa, actuellement, reçoivent de tels messages. Il suffit de mettre le nez sur la place publique réellement ou virtuellement pour s’y exposer. Nous sommes ainsi attaqués de deux façons.
Il y a cette violence verbale ahurissante. Et les gestes physiques, l’intimidation, pour empêcher les médias, électroniques surtout, de faire leur travail sur le terrain. Ceci les oblige à embaucher des gardes du corps pour ne pas s’exposer aux bousculades. Et bien des médias ont effacé leurs couleurs et leurs logos sur leurs véhicules pour ne pas être pris à partie.
Jeudi, la Fédération nationale des communications, qui regroupe de nombreux syndicats représentant les travailleurs du monde des médias, et la Fédération professionnelle des journalistes du Québec ont publié une lettre ouverte pour alerter la société à cette intolérable situation.
[ Des attaques inacceptables envers les travailleurs de l’information [VIDÉO] ]
Toute la société doit former un cordon solidaire pour défendre le droit du public à une information juste et vraie, pour permettre à nos travailleurs des médias, aux vrais journalistes, de faire leur travail dans des conditions sécuritaires et professionnelles.
On a besoin de l’aide de tous.
On a besoin de solidarité morale.
On a besoin de réponses à nos questions.
Et on en a des questions, en commençant par celle-ci : où sont ceux qui doivent nous protéger ?
Par exemple, où sont les policiers pour assurer la sécurité physique de tous les journalistes qui font leur travail au centre-ville d’Ottawa actuellement ? Pourquoi tant de médias sont-ils rendus à devoir veiller eux-mêmes à leur protection ? On voit des tas d’images de journalistes harcelés sur les réseaux sociaux. Mais pourquoi les images de policiers qui interviennent pour les défendre sont-elles si rares ? Pour leur ouvrir la voie, pour leur donner accès à ce qui se passe ? Où sont les policiers qui nous parlent vraiment, qui comprennent notre travail ? Qui nous aident à le faire.
Et alors qu’on en parle depuis des années, où sont les mécanismes qui devraient avoir été mis en place depuis longtemps, pour retracer ceux qui essaient de nous terroriser en envoyant des messages menaçants, dégradants, et pavant la voie à une autocensure néfaste pour la qualité de notre travail ?
Pourquoi est-ce encore si simple, en 2022, si peu risqué, de terrifier verbalement les autres ?
Le message cité plus haut, pensez-vous qu’il est normal que quelqu’un puisse écrire ça et me l’envoyer, en toute impunité ?
Les journalistes ne peuvent pas être seuls à se défendre.
Tous ceux qui ont besoin d’eux pour garder les autorités sous surveillance, pour clarifier les flous, pour donner une parole aux malmenés du monde, pour dire ce qu’on veut cacher, doivent se préoccuper de ce qui se passe. Et faire preuve, comme ils le pourront, d’une essentielle solidarité.