Un résident dénonce un «niveau d'incompétence héroïque» à Ottawa

Un résident d'Ottawa estime que les autorités policières ont fait preuve d'un «niveau d'incompétence héroïque» et qu'elles ont carrément «abandonné» ceux qui habitent le centre-ville d'Ottawa.

Rue Wellington, au centre-ville d'Ottawa, lundi avant-midi. Malgré les klaxons qui continuent, plusieurs dorment encore dans leurs véhicules pendant que d'autres sillonnent le cœur de la capitale à la recherche de carburant pour éviter d'avoir à partir, comme d'autres l'ont fait. Le convoi est moins massif, mais il continue de déranger les résidents comme Mark Davidson, qui estime que les autorités policières ont fait preuve d'un «niveau d'incompétence héroïque» et qu'elles ont carrément «abandonné» ceux qui habitent le secteur.


M. Davidson habite au centre-ville, mais puisqu'il demeure plus au sud, près de l'autoroute 417, ce n'est pas le bruit incessant des klaxons qui l'empêche de dormir. «C'est le stress», a-t-il confié au Droit, qui l'a croisé au beau milieu de la rue Elgin. Ce résident de la capitale se rend chaque jour au centre-ville, depuis l'arrivée des premiers manifestants, pour constater l'ampleur de ce qui s'y passe. Mais il le fait avec la peur au ventre.

«J'ai peur, si je donne mon opinion, que ces soi-disant amoureux de la liberté m'attaquent, dit-il. J'ai eu peur de porter un masque parce que je connais beaucoup de monde, des amis, qui disent qu'ils ont été harcelés parce qu'ils en portaient un. Aujourd'hui, la foule est plus petite, mais samedi, j'ai pris une marche avec un amie qui vit au centre-ville depuis des décennies et elle m'a demandé de la raccompagner jusque chez elle. Un samedi, sur l'heure du midi.»

«Une expérience horrible»

Dans le cadre d'un point de presse tenu lundi, le député libéral fédéral d'Ottawa-Centre, Yasir Naqvi, a déclaré que «personne ne peut décrire» ce que vivent les résidents du centre-ville. «C'est une expérience horrible», a-t-il dit.

Son collègue ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, a affirmé lors du même point de presse que plusieurs résidents d'Ottawa «ont été pris en otage dans leur propre ville». «Tout le monde croit en la liberté d'expression, mais ce convoi va trop loin», a-t-il ajouté.

Marco Mendicino, ministre de la Sécurité publique du Canada

Les représentants du gouvernement fédéral ont cependant tous insisté, lundi, pour dire qu'ils n'ont pas à s'immiscer dans les décisions des forces de l'ordre. «Nous sommes toujours prêts à répondre aux besoins des autorités municipales qui ont la responsabilité législative, dans cette circonstance, pour ramener l'ordre public dans la Ville d'Ottawa, a mentionné Dominic LeBlanc, ministre des Affaires intergouvernementales, de l’Infrastructure et des Collectivités. […] Ce n'est pas aux politiciens de donner des instructions opérationnelles aux forces policières. Ce n'est pas comme ça que ça fonctionne dans une démocratie mature et responsable.»



Au cours de la fin de semaine précédente, les manifestants étaient très nombreux, encore une fois, sur la colline parlementaire. 

Plus calme

Tant sur la rue Wellington que dans les rues avoisinantes, l'ambiance était plus calme lors du passage du Droit, lundi. Chose certaine, il y a moins de camions que dans les premiers jours de la crise. Sur la plate-forme d'un de ceux qui s'y trouvaient encore, des rouleaux de papier hygiénique et des dizaines de tubes de dentifrice étaient offerts en libre-service. Un peu plus loin, un kiosque alimentaire de fortune. Et à travers ça, un homme avec deux bidons rouges accrochés au cou. Sur l'un des bidons, il avait accroché une feuille avec l'inscription «got gas?» puisqu'il était de toute évidence en manque de carburant.

En voyant sa ville dans un tel état, le résident Mark Davidson ne se fait pas tendre à l'endroit de la gestion de cette crise par les autorités. 

On a été abandonnés. Je pense que la Ville, et particulièrement la police, a démontré un niveau d'incompétence héroïque dans leurs décisions. […] J'ai parlé à plusieurs policiers. Je les ai regardés. Ils marchent, mais ils ne font rien.

Croisés sur la rue Elgin, Patrick et Marcel étaient eux aussi allés faire un tour au centre-ville pour suivre l'évolution de la crise. Patrick, qui habite dans la portion ouest de la rue Queen, n'entend pas trop le bruit des klaxons du haut de son logement du 15e étage. «Mais il y a les moteurs qui roulent sans arrêt, souligne-t-il. Un vrai crime contre l'environnement.»

Marcel a pour sa part souligné qu'il peine à comprendre l'entêtement des manifestants qui persistent à demeurer au centre-ville, dans la mesure où même si le gouvernement fédéral retirait la vaccination obligatoire pour les camionneurs, la même consigne resterait en vigueur du côté américain. «Ça donne quoi quand les États-Unis ont la même loi? Ça ne mène nulle part», a-t-il laissé tomber.

Les deux habitants du centre-ville croient eux aussi que les autorités ont failli à leurs responsabilités. Le chef du Service de police d'Ottawa, Peter Sloly, «devrait perdre son job», croit Patrick. D'un autre côté, il reconnaît l'évolution de la situation était imprévisible et que les autorités d'autres villes comme Québec et Toronto ont pu profiter de l'expérience ottavienne pour mieux se préparer sur leurs territoires respectifs.

Peter Sloly, chef du Service de police d'Ottawa.

Trois aller-retour entre Montréal et Ottawa

Un peu plus loin se trouvait le couple formé de Caty et Salvatore, qui ont préféré taire leur nom de famille. Ils étaient partis de Montréal tôt le matin pour venir soutenir le convoi, pour la troisième fois depuis l'arrivée des camions dans la capitale. Contrairement à d'autres participants qui ont refusé de s'adresser à un média traditionnel comme Le Droit, Caty et Salvatore l'ont fait sur un ton posé. «Je me sens mal un peu pour les résidents, a admis Salvatore. C'est vrai que ça peut être tough. Si c'était dehors près de chez nous, je ne serais pas content.» Mais la colère des résidents devrait surtout être dirigée contre le gouvernement, croit-il.

Salvatore s'oppose surtout à la vaccination obligatoire. Le couple a reçu différents vaccins pour voyager. Mais celui contre la COVID-19, ils n'en voient pas «la nécessité», précise Caty.

«Je ne suis pas vacciné [contre la COVID-19], a indiqué Salvatore. J'ai pris la décision de ne pas le prendre et je suis présentement à risque de perdre mon emploi [de facteur] à cause de ça, […], alors c'est très tough pour moi et mes enfants souffrent beaucoup. On souffre beaucoup, on paye un grand prix.»