Chronique|

Le retour de la francophobie en Ontario?

Depuis des siècles, la francophobie fait partie de l’histoire du Canada. Le mot est bien sûr subjectif et englobe une quantité de situations.

CHRONIQUE / Depuis des siècles, la francophobie fait partie de l’histoire du Canada. Le mot est bien sûr subjectif et englobe une quantité de situations.


Avec les années, les frog et speak white sont tout de même moins présents dans les conversations. Les francophones, et pas seulement ceux du Québec, ont gagné le droit d’être servis dans leur langue, et même d’étudier en français. Mais la victoire est encore partielle. Certaines chroniques anglophones viennent nous le rappeler.

Le dernier exemple date de cette semaine avec l’analyse de Chris Selley dans le National Post. Intitulée Delusions about Bilingualism Come Home to Roost at Toronto’s Doomed Francophone University, la chronique revient sur les difficultés de recrutement de l’Université de l’Ontario français (UOF).



Dévoilé la semaine dernière, le nombre de 14 élèves des écoles secondaires de l’Ontario souhaitant rejoindre le campus francophone pour la rentrée 2022 a évidemment jeté une ombre.

Dans une première partie, le point de vue extérieur de Chris Selley se tient. Le chroniqueur expérimenté invoque notamment le grand nombre de programmes en français déjà présents en Ontario, mais aussi le coût de la vie à Toronto.

En revanche, les derniers paragraphes sont une succession de clichés, frisant la francophobie. Avec des relents guerriers, Chris Selley parle ainsi des militants francophones comme des «faucons» animés d’une volonté d’établir une université «en territoire ennemi». Plus encore: «Les francophones normaux reconnaissent qu’ils ne pourront jamais vivre leur vie en français à Toronto, ou Edmonton, ou Vancouver, ou Halifax.»

On n’ose imaginer les réactions si d’autres communautés minoritaires au Canada étaient incluses dans cette phrase à la place des francophones.



S’interroger justement si les francophones sont encore considérés comme une minorité au Canada s’impose comme une question légitime. Pour plusieurs analystes, les idées de décolonisation ont par exemple un objectif louable, mais tendent à enfermer les francophones dans la case des «colonialistes».

En juillet dernier, la nomination de l’autochtone Mary Simon à titre de gouverneure générale, et incapable de parler français, avait certes déclenché l’ire d’une grande partie des francophones. Cependant, une minorité d’entre eux, pourtant très engagés, s’était ouvertement détachée de cet enjeu au nom du processus de décolonisation et de la réconciliation avec les peuples autochtones. Une évolution, voire une fragmentation, au sein de la francophonie.

Le climat politique peut aussi expliquer cette recrudescence pour dénoncer à tout va les francophones. L’adoption de la Loi 21 au Québec a ravivé les tensions entre la Belle Province et les autres provinces. Conséquence: le Québec Bashing connaît une nouvelle vague, mettant dans le même sac tous les locuteurs de langue française, bien que de nombreux restent des fédéralistes convaincus, opposés à la fameuse loi.

Loin du Québec, de nombreux gouvernements provinciaux ont remis en cause les acquis des francophones. Au Nouveau-Brunswick, les menaces n’ont été que verbales pour l’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick, parti allié gouvernement conservateur de Blaine Higgs.

En Ontario, le gouvernement Ford était lui passé à l’action pour mettre fin au projet de l’UOF avant de se raviser, sous l’effet de la gronde des francophones.

Comme les phobies, celle contre les francophones ne disparaîtra pas. Les gouvernements de tous les paliers ont pourtant la mission de promouvoir tous les peuples fondateurs du Canada, d’un océan à l’autre. Dans le cas contraire, les journaux continueront à pulluler de critiques mal informées et boiteuses de la part de la majorité.

—Sébastien Pierroz est journaliste et producteur pour la franchise d’actualité ONFR+ du Groupe Média TFO