Il y a quelque chose d’ironique dans la montée aux barricades à laquelle on assiste depuis que le premier ministre Legault a lancé sa petite bombe mardi. Cela fait des semaines que se manifestent la colère envers les non-vaccinés et le désir populaire de les «emmerder». Mais on s’insurge quand le gouvernement propose une mesure qui risque de faire précisément cela — car ponctionner le porte-feuilles est bien plus susceptible de convaincre les récalcitrants que d’élargir un passeport vaccinal qui ne donne en ce moment accès à rien et qui se contourne facilement grâce aux livraisons à domicile.
Le Québec a un des taux de vaccination les plus élevés au monde (90 % des 12 ans et plus sont entièrement vaccinés, 85 % de toute la population a reçu au moins une dose). Sa situation sanitaire est néanmoins catastrophique. Certes, les non-vaccinés ne représentent que 10 % de la population tout en étant responsables de 50 % des hospitalisations, mais ils ne constituent quand même «que» la moitié du problème. Ils ne sont pas les seuls responsables de la pandémie qui perdure. Le relâchement des consignes sanitaires, l’efficacité déclinante des vaccins et la fragilité du réseau de la santé y sont aussi pour beaucoup. Il faut le reconnaître et l’accepter.
Si les non-vaccinés sont devenus les boucs émissaires de la colère pandémique, c’est beaucoup à cause du discours de Justin Trudeau qui, le premier, a politisé la vaccination à des fins électorales. Il n’a pas raté une occasion de s’attaquer à son rival conservateur, dont le crime consiste à promouvoir la vaccination tout en proposant des accommodements pratico-pratiques pour ceux qui la refusent. M. Trudeau a même récemment soutenu en entrevue qu’une part des non-vaccinés sont «souvent misogynes et souvent racistes».
Voilà où nous mène cette politisation: à la divulgation du statut vaccinal de certaines vedettes (qui répliquent par des poursuites judiciaires), à la traque au dossier médical des députés exemptés et à une taxe sur les anti-vaxx.
Une telle taxe serait-elle légale? Les juristes débattent. Mais rappelons que la Loi sur la santé publique du Québec permet la vaccination obligatoire et prévoit des amendes de 1000 à 6000 $. (Cette loi permet même de vacciner une personne de force, disposition qui n’a cependant jamais été utilisée, selon deux juristes consultés.) Cette loi permet aussi au gouvernement «d’ordonner toute mesure nécessaire pour protéger la santé de la population». La légalité de la mesure sera donc assez facile à plaider.
La mesure enfreindrait-elle des droits protégés par les chartes? Rien n’est moins sûr. Certains invoquent l’article 7 de la charte canadienne, qui protège le droit à la liberté et la sécurité, ce qui inclut le droit de refuser un traitement. Mais justement, en offrant aux citoyens la possibilité de payer pour s’éviter la piqûre, Québec pourra aisément démontrer que leur intégrité physique est respectée.
D’autres invoquent l’article 15 garantissant le droit à l’égalité. Mais attention! Cet article n’interdit pas la discrimination, seulement certains motifs de discrimination (race, sexe, etc.). Rien ne permet de croire que la taxe Legault visera un groupe identifiable plus qu’un autre. Certains mentionnent les sans-abri et les sans-papiers. En coulisses à Québec, on rétorque qu’on songe à procéder soit par le rapport d’impôt, soit par une amende envoyée par la poste, deux avenues qui ne permettraient pas de rejoindre ces gens.
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La retenue de Trudeau
Justin Trudeau s’est bien gardé de commenter l’intention de Québec autrement que pour rappeler qu’elle devra respecter les cinq principes de la Loi canadienne sur la santé (universalité, intégralité, accessibilité, transférabilité et gestion publique). Dans la mesure où la taxe envisagée sera appliquée à tous les non-vaccinés sans égard à leur recours au système, il sera difficile de soutenir que l’universalité des soins est compromise. Et même si elle l’était, cela ne permettrait pas à Ottawa d’invalider la mesure québécoise. Seulement de ne plus lui transférer certains fonds, comme il l’a fait cet été avec le Nouveau-Brunswick qui n’offrait pas assez de services d’avortement.
La retenue inhabituelle de M. Trudeau s’explique par le fait qu’il a fait bien pire, quand on y pense. Il a suspendu sans salaire les 775 fonctionnaires fédéraux non vaccinés. On ne parle pas ici d’une amende de plus de 100 $, comme celle à laquelle rêve M. Legault, mais de la perte de dizaines de milliers de dollars en revenus. Une «amende» d’autant plus difficile à justifier sur le plan sanitaire que les fonctionnaires sont encore très majoritairement en télétravail. (En passant, Ottawa n’est toujours pas en mesure de dire, deux mois et demi après l’entrée en vigueur de cette obligation, combien des 3290 demandes d’exemption, notamment religieuses, ont été approuvées.)
Le gouvernement Trudeau s’apprête aussi à instaurer une obligation vaccinale pour les camionneurs même si ceux-ci, à cause de la nature solitaire de leur travail, ne posent pas un véritable risque. Pour le camionnage transfrontalier, l’obligation entre en vigueur ce samedi. Pour le camionnage inter-provincial, aucune date n’est encore arrêtée, mais les rumeurs parlent de la fin janvier. Ainsi, les camionneurs américains non vaccinés ne pourront plus passer la frontière et les canadiens devront se mettre en quarantaine 14 jours, ce qui revient à les empêcher de faire leur travail.
L’industrie est catastrophée: déjà aux prises avec une importante pénurie de main-d’oeuvre, elle pourrait perdre de 10 à 15% de ses camionneurs avec cette obligation. Cela se traduira par des pénuries et des retards de livraison pour une pléiade de biens qui affecteront tout le monde, pas juste les non-vaccinés. Et quand on sait que 90 % de notre nourriture arrive par camions, on devra aussi s’attendre à des fruits et légumes qui pourrissent encore plus vite dans nos frigos.
C’est donc cela, l’obligation vaccinale. Écoper d’une conséquence si on refuse la piqûre. Reste à déterminer si on veut tous la subir ou si on préfère la réserver aux porte-feuilles des rebelles.
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Ce texte a été mis à jour le 17 février 2022, afin de préciser une citation du premier ministre Justin Trudeau.