On grignote, petit à petit.
C’est l’image qui m’est venue en lisant le rapport de la Commission Cloutier sur la liberté universitaire déposé mardi matin à Québec, rapport qui a été commandé par le gouvernement à la suite des différentes controverses, entre autres sur les mots «nègre» et «sauvage», écrits tels quels par les commissaires.
Ce n’est pas anodin.
Des controverses qui ont fait grand bruit dans l’espace public, qui ont polarisé les débats, les commissaires marchaient en terrain miné, ils le savaient.
Leur conclusion là-dessus est claire, tous les mots, les images et les contenus peuvent être abordés dans une salle de classe tant qu’ils ne sont pas haineux ou discriminatoires, des lois existent déjà pour ça. Le fait qu’une personne se sente heurtée ne devrait pas être un motif d’exclusion, tranche la commission. «Il n’existe pas de droit de ne pas être offensé», écrit-elle.
Voilà pour la question de ces mots dits «explosifs».
Mais il y a plus que ces mots. Il y a aussi une traînée de poudre que les commissaires ont montrée du doigt, l’érosion globale de la liberté universitaire. Les controverses qui ont éclaté dans les médias ne sont pas des cas isolés, ils font partie d’«une tendance lourde» qui menace les fondements même de l’université.
Le Ficello s’effiloche.
La commission a mené un sondage auprès d’un millier de professeurs, l’écrasante majorité, que dis-je, la presque totalité d’entre eux ont confié qu’ils se sentaient limités d’une façon ou d’une autre. Sans surprise, un peu plus du tiers a dit devoir marcher sur des œufs par crainte qu’un étudiant enflamme les réseaux sociaux.
Plus surprenant, un professeur sur cinq a dit se sentir brimé par la direction. Certains ont admis avoir évité de faire des recherches sur certains sujets en raison de prises de position de leur université. Cela va à l’encontre d’un des principes fondamentaux, les profs doivent se sentir libres.
C’est le cas de seulement 6 % des professeurs.
Dans ce même coup de sonde, un professeur sur cinq déplore devoir orienter ses travaux vers «des thèmes à la mode» pour obtenir du financement des organismes subventionnaires. Ils sont 13 % à se sentir brimés par les gouvernements, ce sont eux qui dictent les priorités dudit financement.
Les entreprises sont aussi au banc des accusés dans 11 % des cas.
Les commissaires sont allés consulter les statuts des universités, les conventions collectives, les politiques sur la liberté académique, ils y ont trouvé de beaux principes sur l’importance de protéger l’indépendance des professeurs, même le droit de critiquer leur établissement.
Mais en même temps, à l’Université Laval par exemple, on demande aux professeurs d’avoir un devoir de loyauté et de confidentialité.
C’est incompatible.
Il n’ y a pas si longtemps, on a appris que l’institution avait accepté du financement du Port de Québec pour des projets de recherche en s’engageant à la «confidentialité absolue» sur la provenance de cet argent. La direction a tenté de sauver les apparences en invoquant une erreur dans la rédaction de l’entente.
Le vernis a craqué.
En annexe de leur rapport de 76 pages, Alexandre Cloutier, Yves Gingras, Josée Maurais Aline Niyubahwe et Chantal Pouliot ont fait une recension de cas – ils se sont limités aux cas les plus récents – où la liberté universitaire est passée dans le tordeur, où on comprend que ce ne sont pas que des cas isolés.
La ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, a réagi mardi par un communiqué, avec des formules convenues. «La liberté académique est une condition primordiale et essentielle à la santé de notre milieu universitaire. J’accueille avec beaucoup d’intérêt les recommandations de la Commission. Nous allons les analyser et rapidement rendre publiques les intentions de notre gouvernement à cet effet. Les audiences publiques, les mémoires et les témoignages confirment les préoccupations de la communauté universitaire à l’égard de cet enjeu, et je les entends.»
Il faudra plus que ça.