Les étudiants et étudiantes de l’Université Bishop’s manifestent doublement ces jours-ci. Tout d’abord pour dénoncer la façon dont l’administration gère les cas d’agressions sexuelles, puis pour dénoncer la façon dont la direction a renvoyé un professeur. Un geste également dénoncé par le personnel enseignant.
On peut déjà remonter au début novembre, alors qu’un message a été collé sur le pont près de l’Université Bishop’s (UB). Originalement en anglais, on pouvait lire : « Il m’a violée. Je l’ai dénoncé. Il est encore dans ma classe. UB, intervient. »
À côté, une autre affiche, toujours en anglais, mentionnait : « J’ai rapporté un incident impliquant de la drogue. On m’a demandé ce que je portais. Je n’ai pas eu de suivi. Ça fait trois ans. »
Une vigile a eu lieu le 4 novembre dernier, organisée par les étudiants et étudiantes de l’université anglophone de Sherbrooke. Le sexual assault committee, un comité fondé l’an dernier, dénonce un décalage entre la communauté étudiante et l’administration universitaire sur la façon de gérer les agressions sexuelles et s’inquiète de l’accessibilité aux ressources d’interventions ainsi qu’à la capacité de rapporter des agressions ou des situations problématiques.
Voilà qu’une ex-employée de l’Université Bishop’s corrobore les inquiétudes des étudiants et étudiantes. Alors qu’elle devait mettre en place de meilleures pratiques pour contrer les violences sexuelles sur le campus, elle dénonce l’attitude et les façons de faire de l’administration. « Ils ne voulaient pas de plaintes. Ils ne voulaient pas investiguer », a-t-elle confié à ma collègue.
À son départ, elle avait une douzaine de dossiers pour violences sexuelles. Rappelons que UB est une petite université, avec une population étudiante de moins de 3000 personnes. Pour donner une idée, c’est comme si une polyvalente de taille moyenne avait une demi-douzaine de dossiers de violences sexuelles. Je ne crois pas que les parents trouveraient ça rassurant.
Et ça, ce sont les cas déclarés. Rappelons que selon une enquête de 2016, environ 37 % des étudiants et étudiantes et membres du personnel d’une université ont déjà subi au moins une forme de violence sexuelle.
L’administration de l’Université Bishop’s a répondu qu’elle allait s’inspirer des méthodes de sa voisine, l’Université de Sherbrooke. Elle s’engage à améliorer le sentiment de sécurité sur le campus, comme l’éclairage, et rappelle qu’il existe des formations sur le consentement.
Sauf que l’administration n’a présenté aucune excuse. Elle trouve ça « douloureux » d’entendre que des étudiants et étudiantes « ne se sentent pas soutenu.e.s par l’Université », mais fait comme si elle ne participait pas à créer ce ressenti. Bien qu’elle étale une liste d’actions faites et à mettre en place, à aucun moment l’administration ne répond aux reproches ou n’admet avoir pu faire une erreur quelque part. Pire, l’enquête « externe » annoncée a plus des allures d’enquête interne, c’est-à-dire pas du tout indépendante de l’administration.
Culture du silence
Et c’est là qu’on rejoint l’autre tremblement de terre qui brasse le campus, le renvoi du professeur Christopher Stonebanks. Personne ne sait pourquoi il a été renvoyé et la direction refuse d’expliquer les raisons, avec les habituelles justifications d’informations trop sensibles.
Le renvoi du professeur Stonebanks est à la fois dénoncé par ses collègues, mais aussi par les étudiants et étudiantes de l’UB. Visiblement, ce professeur qui a déjà été récompensé pour la qualité de son enseignement est très apprécié sur le campus.
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Bon, ça arrive que des gens appréciés fassent des trucs douteux, voire scandaleux, en coulisses. Mais qu’est-ce Christopher Stonebanks aurait pu faire qui soit si grave pour que ça mérite un renvoi rapide sans que personne ne soit au courant? Vu la manière dont la famille du professeur dénonce son renvoi, on devine qu’elle aussi aimerait comprendre. S’il avait fait un acte illégal ou tordu, sa famille et lui ne chercheraient sûrement pas autant à confronter la direction de Bishop’s.
Ce qu’on sait, toutefois, c’est que le militantisme de Christopher Stonebanks contre le racisme systémique dérangeait. Ses critiques envers l’administration de l’université importunaient. Le silence de la direction nourrit l’hypothèse qu’elle était tannée de ces critiques.
Un collègue, David Webster, souligne que ce renvoi sans explications n’aide pas à créer un climat de travail très sain. « Si un professeur titulaire est renvoyé, que personne ne peut rien dire là-dessus et qu’aucune raison n’est donnée », ça soulève plusieurs questions sur la protection de leurs emplois, mais aussi sur la fameuse liberté académique. Normalement, le titre de professeur titulaire reconnait l’expertise et la capacité de soulever des enjeux sociaux, y compris au sein de sa propre institution.
Comme l’administration refuse de donner sa version ou des explications, le scénario le plus plausible est que Christopher Stonebanks dérangeait avec ses critiques. « La personne la plus critique du racisme systémique a été mise à la porte », souligne David Webster.
Ce qui relie l’histoire de Christopher Stonebanks et le dossier des agressions sexuelles est le silence de l’Université Bishop’s, une mauvaise gestion de crise qui rappelle les mauvais réflexes de protéger son image corporative plutôt que d’agir pour le bien commun de tous et toutes.
On le rappelle, l’Université Bishop’s est un petit campus, on pourrait même dire unique dans le paysage universitaire québécois. En s’enfermant dans le silence et dans son refus de reconnaitre ses erreurs, la direction est en train de briser cet esprit de communauté qui lui est chère.
Mais plus encore, pour permettre à des étudiants et étudiantes d’apprendre, il ne faut pas seulement de bons ou de bonnes professeures, il faut aussi un climat qui permet à ces jeunes de s’épanouir et prendre leur place. En étouffant les critiques et en refusant de les écouter, la direction fait exactement l’inverse, sabotant sa première mission.
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