{"accessibility":"RESTRICTED","authors":[{"coverUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm-v2.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F6e60f1b0-caf8-4650-8837-bca379658939.png&width=1024&stripmeta=true","description":{},"email":"ybergeras@ledroit.com","imageUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm-v2.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F11340ae4-2bf7-4a06-a21a-7e375fd898d1.jpeg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","name":"Yves Bergeras","source":"Le Droit","twitter":"YvesBergeras"}],"channel":"Exclusif à nos abonnés","chapters":[{"position":0,"text":"

Petit moment de panique professionnelle...

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Le 27 octobre dernier, j’avais rendez-vous avec Gilles Vigneault. Chez lui.

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J’étais invité à son anniversaire, et je ne le savais même pas.

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Gilles Vigneault faisait paraître un nouvel album de chansonnettes (le terme n’a rien de péjoratif, ici ; ses ritournelles ont des allures assumées de comptines écolos, comme si on voulait qu’un enfant les retienne aisément), intitulé «Comme une chanson d’amour», la semaine de ses 93 ans.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"\"Les saisons...\"","contentType":"jw","monetizationEnabled":false,"position":4,"thumbnailUrl":"https://cdn.jwplayer.com/thumbs/194lgOcW-1280.jpg","type":"video","url":"https://cdn.jwplayer.com/manifests/194lgOcW.m3u8","videoUrl":"https://cdn.jwplayer.com/manifests/194lgOcW.m3u8","contents":[],"photos":[]},{"position":5,"text":"

C’est ma blonde – plus alerte que moi sur les dates en général et les anniversaires en particulier – qui, le matin même, «allume».

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«C’est la fête de M. Vigneault aujourd’hui!» m’avise-t-elle, moi qui n’avais pas repris la peine de vérifier la date de naissance précise de mon futur interlocuteur, trop préoccupé que j’étais à identifier les pédantes pistes sémiologiques que je m’étais fait un devoir de trouver en soulevant les feuilles de ses poèmes pétris d’arbres, d’eau et d’images de nature.

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Je ne passe pas mon temps à me pavaner en famille; j’évite de me gargariser en égrenant à l’avance à la cantonade les noms des artistes que mon métier de journaliste culturel m’autorise à appeler, approcher, tutoyer ou rudoyer.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"\"Le veilleur de nuit\"","contentType":"jw","monetizationEnabled":false,"position":8,"thumbnailUrl":"https://cdn.jwplayer.com/thumbs/K1MsW6i7-1280.jpg","type":"video","url":"https://cdn.jwplayer.com/manifests/K1MsW6i7.m3u8","videoUrl":"https://cdn.jwplayer.com/manifests/K1MsW6i7.m3u8","contents":[],"photos":[]},{"position":9,"text":"

Alors comment yâble pouvait-elle savoir que je m’en allais rencontrer le sieur Vigneault?

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Le mystère est, bien sûr, moins épais qu’un bosquet de bleuets ou de grenaches perçant timidement les plaines au nord de Natashquan.

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Mon visage ostensiblement ébaubi, sourire bouffi d’orgueil satisfait éclairant mon faciès depuis dix jours –lorsque j’ai su que mon nom figurait sur la très courte liste des six journalistes avec qui le vénérable Vigneault allait prendre le temps de bavarder de son nouvel album – m’aurait-il trahi?

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Peut-être les ritournelles que je fredonne en douce depuis ont-il mis la puce à l’oreille de mes ouailles.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"\"La femme est fragile. Aussi fragile que l'homme\"","contentType":"jw","monetizationEnabled":false,"position":13,"thumbnailUrl":"https://cdn.jwplayer.com/thumbs/d3MUcgWA-1280.jpg","type":"video","url":"https://cdn.jwplayer.com/manifests/d3MUcgWA.m3u8","videoUrl":"https://cdn.jwplayer.com/manifests/d3MUcgWA.m3u8","contents":[],"photos":[]},{"position":14,"text":"

Difficile de cacher mon état de fébrilité générale. Mince, ce n’est quand même pas tous les jours qu’on serre la pince de Gilles Vigneault ! C’est quand même Vigneault, sacrebleu! Celui de la «Langue de...». Celui qui a fait d’un pays, l’Hiver. Et celui dont la voix berce mon fils depuis des lustres.

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Bref, l’Ouaille en question – appelons-la Sweet, ce qui sonne mieux pour une Blonde... surtout pour parler d’un disque intitulé «Comme une chanson d’amour» – n’ignore rien de la rencontre au sommet qui se trame à Saint Placide entre un grand poète chenu et une poignée de roseaux médiatiques.

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Vigneault m’attend de pied ferme, son nouvel album sous le coude, pour me parler de la vie. Celle de son album en particulier; de la sienne, par extension; et de celle de la planète en général.

Et je vais le faire attendre...

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"\"Sur la planète Terre\"","contentType":"jw","monetizationEnabled":false,"position":17,"thumbnailUrl":"https://cdn.jwplayer.com/thumbs/BjOI4mrN-1280.jpg","type":"video","url":"https://cdn.jwplayer.com/manifests/BjOI4mrN.m3u8","videoUrl":"https://cdn.jwplayer.com/manifests/BjOI4mrN.m3u8","contents":[],"photos":[]},{"position":18,"text":"

S’il m’invite dans son studio de répétitions, ce n’est pas parce qu’on a gardé les saumons ensemble ni frotté nos fonds de culotte sur les bancs de la même petite école : je suis juste convié à titre de journaliste.

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Question de ne pas trop s’éreinter les années qui s’amoncellent et celle qui bourgeonne, le vénérable Vigneault n’a accepté de rencontrer que 6 journalistes culturels triés sur le volet. C’est-à-dire doublement vaccinés, n’en déplaise à mon pétage de bretelles, lequel eusse préféré qu’on lui imposât des critères de compétences d’ordre «conjugatoire» ou lexical.

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Désormais atteint d’une légère surdité bien naturelle pour son âge et ses sillons, Vigneault lit sur les lèvres et n’accepte plus de faire d’entrevues téléphoniques (ou même par écran interposé). D’où son invitation à bavarder en personne.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"\"L'eau nous dit...\"","contentType":"jw","monetizationEnabled":false,"position":21,"thumbnailUrl":"https://cdn.jwplayer.com/thumbs/Uwbj5uNN-1280.jpg","type":"video","url":"https://cdn.jwplayer.com/manifests/Uwbj5uNN.m3u8","videoUrl":"https://cdn.jwplayer.com/manifests/Uwbj5uNN.m3u8","contents":[],"photos":[]},{"position":22,"text":"

Jusqu'ici, tout va bien!

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Sauf que...

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Au départ de Gatineau, une très mauvaise surprise m’oblige à retarder mon départ. Les chevaux vapeur qui doivent me conduire à Saint-Placide me font le coup de la panne de batterie. Panique!

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Après quelques échanges de textos fébriles pour aviser sa garde rapprochée de ma situation mécanique, tout en appelant quelques amis heureux propriétaires de câbles à booster, pour voir s’ils n’auraient pas, par hasard, quelques minutes à perdre sur-le-champ-envoye-le-gros-tu-comprends-pas, c’est pratiquement une question de vie ou de mort...

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À ce moment-là, je sue à grosse goutte. L’ensemble du «réseau» (le groupe de presse Cn2i, ou «Les coops de l’info») compte sur moi et sur mon texte. Et sachant que Vigneault enchaîne les entrevues, je devine qu’on ne m’offrira pas de seconde chance pour l’entrevue. Du moins pas sur le même plateau d’argent.

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Un ami, appelons-le Loyal, arrive à la rescousse. Je ne prends même pas le temps d’étreindre mon sauveur ni la peine de le remercier : je plonge dans l’auto et je file dare-dare.

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Après deux heures de route (et d’autres textos échangés depuis le bas-côté de l’autoroute 50 pour avertir l’assistante personnelle de M. Vigneault, Suzanne Beaucaire, que je ne me suis pas perdu en chemin, ce qui est déjà arrivé semble-t-il), j’arrive au pas de sa porte au pas de course, avec plus de 25 minutes de retard.

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Mes secondes seront comptées.

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* * *

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Après l’avoir salué – et m’être confondu en excuses humblement bafouillées – je me résous à ne pas prolonger les salamalecs (bien que, histoire de faire frétiller sa fibre verte, je meure d’envie de lui avouer que c’est la faute de cette satanée voiture à pétrole que je n’ai pas eu la présence d’esprit de tester la veille, moi qui en temps normal conduis un véhicule électrique), et nous nous installons de part et d’autre d’une table ronde installée au centre de son salon de répétitions.

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J’allume l’enregistreuse posée au bord de la table. Je prends un grand «respire», encore un peu inquiet en dépit des son grand sourire accueillant et chaleureux.

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Et je commence par lui souhaiter bonne fête. Sans pousser l’outrecuidance jusqu’à lui chantonner le refrain qui s’ensuit traditionnellement, «Mon cher Untel, c’est à ton tour...» (refrain bien sûr emprunté à son répertoire), mais je m’autorise néanmoins à entamer notre conversation en invitant mon fils Nathaniel à se joindre à nous, virtuellement parlant.

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À son insu, il m’a «sauvé la mise», ce jour-là, en faisant démarrer cette entrevue sous les meilleurs auspices possible.

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«Je vais, à défaut de cadeau, vous faire une confidence, M. Vigneault. Je sors de mon rôle journalistique pour vous parler en tant que père de famille, et vous dire que mon fils de neuf ans, Nathaniel, sa berceuse, c’est une de vos chansons : ‘Quand vous vivrez de nos amours’. Parfois c’est vous qui l’endormez. Parfois, c’est Rufus Wainwright», lui dis-je, un peu crânement, tout en épiant sa réaction.

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Et Gilles Vigneault, touché de savoir que ses paroles continuent de résonner dans l’esprit des très jeunes générations, de rétorquer: «C’est formidable! Il n’y a pas mieux [à offrir à un chanteur] C’est le prix Nobel, ça! »

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«Si l’un de mes refrains [...] survit dans la tête et l’âme d’un enfant de 7,8 ans, 10 ans, 12 ans... aujourd’hui, c’est une promesse de... une espèce d’immortalité qui en vaut bien d’autres. On se dit que cet enfant-là aura l’occasion d’être le grand-père de quelqu’un... et peut-être de lui chanter [à son tour]. Cela garde une pérennité que même l’imprimé, le gravé sur disque, n’arrivent pas à perpétuer. Ce qui perpétue une chanson, c’est la mémoire des gens... et des gens qui commencent : des jeunes. Alors ça c’est un cadeau extraordinaire, au départ. Vous lui direz ça, à Nathanaël.»

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Oui, je vous avais prévenu : malgré toute sa tendresse, l’homme est désormais un peu dur de la feuille. Mais -niel ou -naël, qu’importe : merci, Nano!

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Je vous fais grâce du verbatim qui s’ensuit. Mais je le conserve précieusement. Notre échange sera ponctué d’une dizaine de «Nathanaël»s sortis tout droit de la bouche de Poète, qui, dans sa maîtrise de la synecdoque, s’amuse à faire de mon «kid» le visage et l’incarnation de tous les enfants du monde... cette jolie marmaille qui essaie de «parler d’avenir [tout en marchant sur] des glaciers qui fondent». Ces gamins sur qui le vieux poète au regard vert compte pour planter des arbres, «nettoyer la cabane» et «organiser une petite sonnette d’alarme générale».

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Lui, de poème en conte et de comptine en chanson, «de différentes façons et dans différents registres», lui qui souhaiterait pouvoir se réincarner en un enfant, continue de les encourager à se retrousser les manches.

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«Plantez-en quelques milliards / Aux abords des grandes villes / Avant qu’il ne soit trop tard», se met-il à fredonner, au détour d’une réponse à la Vigneault, c’est-à-dire ruisselantes de digressions poétiques, de sourires juvéniles et d’inquiétudes concernant le sort de la planète et la «désinvolture» des ‘grands’.

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Quand il met fin à notre entretien – bien plus tard qu’initialement prévu – c’est au tour de Gilles Vigneault de me faire un cadeau. Double.

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D’abord, en me confiant avoir eu le sentiment de participer à «une agréable conversation» plutôt qu’une entrevue – ce qui est pas mal le plus beau compliment qu’on puisse recevoir, dans ce métier

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Puis le chenu Vigneault se lève puis s’éloigne à petits pas jusqu’à une vieille bibliothèque en bois. Il y farfouille une minute pendant que Mme Beaucaire et moi devisons, puis en revient les bras chargés de livres.

En témoignage de son appréciation de cet échange bavard, le voilà qui m’offre sept de ses bouquins dont il conservait quelques exemplaires.

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Ignorant que j’avais moi-même tout récemment frappé le mur des 47 ans, il n’a pas cru bon d’ajouter «bonne fête!».

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Mais – pour l’éternité qu’il me reste à vivre, à chantonner Quand vous mourrez de nos amours le soir, et à regarder ma descendance faire ce qu’elle peut pour nettoyer la cabane – je pourrai dire qu’un jour, Monsieur Gilles Vigneault en personne a souligné mon anniversaire. Et je m’endormirai paisiblement, sans autre berceuse que celle-là.

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