L'Ud'O affirme qu'elle espère pouvoir publier le rapport du Comité sur la liberté académique «dans les meilleurs délais».
«À moins d’avis contraire, nous visons toujours de le rendre public la semaine prochaine», indique la porte-parole Isabelle Mailloux-Pulkinghorn.
Le 31 mars dernier, face à la fois à ces controverses, mais aussi aux multiples critiques et aux demandes réclamant sa propre démission en raison du traitement réservé aux professeurs dans ces deux dossiers, le recteur et vice-chancelier Jacques Frémont était sorti de son mutisme en annonçant, par le biais d'une vidéo bilingue publiée sur YouTube, la mise sur pied d'un comité piloté par l'ex-juge à la Cour suprême Michel Bastarache.
«Leçons à tirer»
On précisait alors que le groupe de réflexion, qui «examinerait les leçons à tirer des incidents récents, survenus chez nous et ailleurs au Canada», produirait un rapport d'ici la fin de l'été.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/CFJ3BPC67VC7XLJQ75X5UEIFVU.png)
«Nous nous devons de puiser des expériences d'ici et d'ailleurs pour trouver les moyens les plus susceptibles de mieux concilier, et de façon très concrète, les principes en présence, et de disposer en toute prévisibilité les outils nécessaires pour gérer de telles situations. Ces questions doivent être discutées et analysées non pas à coup de 280 caractères, mais de façon méthodique et posée, comme on doit s'y attendre en milieu universitaire», avait alors affirmé M. Frémont.
Rappel des controverses
Rappelons que l'automne dernier, une première controverse avait frappé l'établissement lorsque la professeure Verushka Lieutenant-Duval avait été suspendue après que certains étudiants se soient plaints qu'elle ait prononcé le mot en «N» dans un contexte académique. À la fois la chargée de cours et l'institution s'étaient retrouvées sur la sellette, l'affaire ayant fait les manchettes non seulement dans la région, mais aussi à travers le pays et ailleurs sur le globe.
Puis, au printemps dernier, le professeur en droit Amir Attaran a suscité un tollé avec de nombreux gazouillis sur Twitter qui décrivaient la société québécoise comme raciste, décrivant entre autres la province comme «l'Alabama du Nord». La classe politique avait sauté dans l'arène, le chef du Parti québécois Paul St-Pierre Plamondon réclamant des excuses de l'institution et des sanctions contre le professeur, disant qu'il était «surprenant que l'université ferme les yeux sur de tels propos stigmatisants et dénigrants [...] alors qu’elle a fait de la lutte à l’intolérance et au racisme une priorité qui frôle parfois le zèle au cours de la dernière année». Le ministre responsable de l'Outaouais, Mathieu Lacombe, avait de son côté lancé que M. Attaran «devrait parfois se taire au lieu de vomir sur le peuple québécois».
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/QHVMLCNLQRAATCVLUR5YYRKQ2M.png)
Le recteur de l'Ud'O avait refusé d'offrir des excuses ou d'imposer des sanctions dans ce cas-ci, même s'il disait comprendre que les Québécois soient offusqués par de tels propos.
«Nombreux sont celles et ceux, dont j’en suis, qui se désolent devant le ton vindicatif et les attaques personnelles sur les Twitter de ce monde. Par ailleurs, la liberté d’expression n’est pas un buffet où on choisit les cas où le discours est acceptable et où il ne l’est pas», avait-il écrit.
Attentes et critiques du corps professoral
À la veille du dépôt de ce rapport, le professeur en journalisme Marc-François Bernier, qui avait comme une trentaine de ses collègues signé une lettre en appui à Mme Verushka-Duval, indique ne pas avoir des attentes «très élevées».
«Selon moi, ce comité est en premier lieu une tactique pour permettre à la haute administration de gagner du temps et de sauver la face en raison de sa gestion erratique, discriminatoire et liberticide de ce qu’on nomme 'l’affaire Lieutenant-Duval', alors que des règlements supposément en vigueur à l’Université d’Ottawa confirment déjà toute l’étendue de la liberté académique. [...] Le rapport ne peut pas aller en deçà de ces règlements, il doit au contraire en réitérer l’importance historique et encore plus l’importance actuelle pour résister aux dérives idéologiques radicales de gauche comme de droite», soutient-il. a écrit M. Bernier au Droit.
À son avis, la problématique demeure la capacité de la haute administration de l'Université à résister aux pressions à la fois idéologiques et liberticides «qui menacent la mission universitaire».
Cela soulève par ailleurs la place du français non seulement comme langue de travail, d’enseignement et de recherche, mais aussi dans le respect et la reconnaissance de la légitimité de sa tradition intellectuelle et culturelle.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/D4DYDFIESZAILOEWLDAOHMOUII.png)
M. Bernier rappelle que «le recteur lui-même a affirmé que des Blancs n’avaient pas la légitimité pour se prononcer sur certaines questions, ce qui est à la fois contraire à la liberté d’expression protégée par des lois et constitue une forme inacceptable de discrimination», et ajoute qu'il demeure disposé à être «favorablement surpris» par le comité présidé par M. Bastarache, pour qui il avoue avoir un grand respect.
Clarifier la situation
Elle aussi signataire de cette lettre, la professeure à l’École d’études politiques de l'Ud'O, Geneviève Tellier, soutient que le rapport va devoir clarifier la situation, car «on ne sait plus sur quel pied danser» en lien avec la liberté académique. Selon elle, la haute direction dit une chose et son contraire, même dans les entrevues dans les médias.
«Je m’attends donc à ce que l’administration donne suite aux recommandations du comité Bastarache. Si ces recommandations se portent à la défense de la liberté universitaire, je m’attends à ce que l’Université le déclare haut et fort et protège activement les professeurs qui seraient victimes de censure. Si, au contraire, ces recommandations limitent la liberté universitaire, je m’attends à ce que l’administration nous dise très clairement et sans aucune ambiguïté ce qui peut être dit et fait et ce qui est interdit. Si des mots sont censurés alors il va falloir nous fournir la liste de ces mots censurés et le contexte dans lequel ils ne peuvent pas être employés, le cas échéant», note-t-elle.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/LSNNH4VL7BF6NDGNVX5FFRUEHA.png)
Disant ne pas se faire d'illusion au sujet des recommandations du rapport, elle décoche une flèche envers les hautes instances de l'établissement en disant que le tout ressemble «à un exercice de relations publiques contrôlé par l'administration pour légitimer sa future position».
«Ce processus manque de transparence et d’indépendance. Le rapport devait être présenté d’ici la fin de l’été, mais ne l’est pas encore. Nous ne connaissons pas les critères employés pour avoir recruté les membres de ce comité. Les mémoires soumis ne seront pas publiés. On ne sait pas pourquoi certains membres de la communauté universitaire ont été invités à rencontrer le comité, mais pas d’autres. On ne saura probablement pas si le rapport publié correspond tel quel au rapport soumis par le juge Bastarache [à moins que celui-ci le dise]. Ce n’est pas une réelle consultation similaire, par exemple, à la Commission sur la liberté académique mise sur pied par le Québec», déplore Mme Tellier.
Et ça se résume ainsi : un mot en n prononcé dans un cours à l’Université d’Ottawa par une prof d’histoire et de théorie de l’art, dans le cadre d’une réflexion sur la réappropriation de termes offensants, mènera à sa suspension et lancera ainsi un débat houleux au Québec et au Canada, sur la liberté académique, sur la douleur de la discrimination, sur le racisme sur les campus et au-delà et sur la distribution du pouvoir dans la société.
Donc ainsi s’ouvrait il y a un an une boite de Pandore dont on n’a certainement pas encore vu le fond, dont ne cesse de surgir des malaises toujours plus complexes. Aux allures insolubles.
Certains aspects du débat ont été porteurs. Essentiels. Bien des gens ont appris, grâce à ça, le poids de mots dont on ne mesurait pas la violence.
Mais des dérapages ont été vus. C’est clair.
Sur les campus universitaires, notamment, la compétition au progressisme s’est emballée. Des repères ont été perdus.
Des professeurs, des étudiants, des intellectuels, des journalistes, des artistes, des citoyens, ont été injustement mis au banc des accusés par le tribunal populaire des réseaux sociaux.
Et par peur d’être accusés d’insensibilité, voire de racisme, des professeurs, des étudiants, des intellectuels, des journalistes, des artistes, des citoyens, ont préféré se retirer de mille conversations pourtant importantes. La peur d’être mal compris les a paralysés.
Ça, ça ne va plus.
Oui, il est important de faire une introspection constante pour permettre à nos idéaux d’égalité et d’inclusion de se déployer partout dans nos sociétés modernes.
Mais lorsque cette quête de rectitude devient une chasse aux sorcières, une course déconnectée du réalisme nécessaire au coeur de tout effort pour le progrès, on risque de perdre pied.
///
Les ministres de l’Éducation de la France et du Québec signaient dans les pages des grands médias, hier, une lettre ouverte sur ces questions et leurs inquiétudes.
« Nous assistons depuis trop longtemps aux dérives liées à la culture de l’annulation (cancel culture), une idéologie et des méthodes directement importées de certains campus universitaires américains et qui sont à mille lieues des valeurs de respect et de tolérance sur lesquelles se fondent nos démocraties », ont-ils écrit.
« Le bannissement de personnalités, de spectacles et de conférences, le harcèlement sur les médias sociaux, la censure, l’assujettissement de la science à l’idéologie, l’effacement de l’Histoire jusqu’à l’autodafé de livres constituent autant d’assauts portés contre la liberté d’expression et le sens civique, qui nous ramènent aux temps les plus obscurantistes de nos sociétés occidentales. »
Dans ce cas, la goutte qui a fait déborder le vase ne semble pas être l’affaire Lieutenant-Duval mais plutôt la décision révélée en septembre du Conseil scolaire catholique Providence, qui regroupe 30 écoles francophones dans tout le Sud-Ouest de l’Ontario, de brûler des milliers de livres comme ceux de Tintin ou Lucky Luke, parce qu’ils véhiculent des stéréotypes intolérables. Les ministres le mentionnent dès l’ouverture de leur texte.
Selon eux, effacer ces publications, n’est pas une solution.
Et ils ont raison.
Si des bandes dessinées manquent de respect envers des populations dominées par d’autres, que dire des autres milliers et milliers d’œuvres qui utilisent des mots qu’on ne veut plus voir. Que dire de tous les chefs d’œuvres de la littérature où les femmes, notamment, sont traitées, mises à l’avant-plan de façon ignoble ? De Zola à Garcia Màrquez, rares sont les classiques qui ne reflètent pas les inégalités et conceptions parfois immondes du monde de leur époque.
Doit-on aussi les brûler ?
Non. Ce sont des témoins du passé. D’une Histoire qui a existé ainsi.
Accepter que la littérature parle d’autres époques imparfaites comme elles le sont toutes, est crucial parce que c’est de là que doivent décoller nos discussions, que peut surgir notre progrès.
Le vrai progrès.
Celui qui passe par l’échange. Où le silence sert à écouter. Pas à cacher la peur.