Ce titre en allemand renvoie au nom d’un forum auquel a participé le Gatinois dans le cadre d’une résidence artistique en Allemagne dont il a bénéficié y a quelques années.
C’est lors de ce séjour à l’étranger que l’artiste peintre, qui s’intéressait auparavant aux visage et à l’art figuratif, a complètement transformé sa démarche en se mettant à l’art abstrait : «J’étais dans cet esprit-là, à me demander “où suis-je ?” dans ma pratique.» Et c’est là-bas que Benjamin Rodger a «eu envie de retourner aux bases de la peinture, à ce qui m’attirait dans la peinture.»
Et ce qui l’intéresse, en ce moment, c’est l’illusion du geste.
La trentaine de toiles (quatre de grande envergure et 28 petits formats) encerclant la dizaine de sculptures qui constituent Wo Bin Ich ? cherchent à rendre plus manifeste la «gestuelle» invisible sur laquelle s’appuie son travail.
La peinture n’est pas «directement» appliquée au pinceau, sur ses toile en coton. Dans un premier temps, l’artiste étale des lignes de ruban à masquer, puis passe ses pinceaux par-dessus ces bandes de ruban dont il se sert comme on utilise un pochoir.
La couleur vient ainsi combler les interstices. Ce n’est qu’ensuite qu’il ôte le ruban. Apparaissent alors des lignes de couleur juxtaposées.
Les coulures, les dégoulinures qu’on voit sont toutes fausses ; elle sont en réalité découpées et peintes au rouleau. Il y a donc une imitation de la gestuelle du peintre, alors que c’est très figé, en réalité. […] Tout est aplati
«Il y a une dichotomie entre l’image figée et la gestuelle, entre ce qui est perçu et ce qui est réel », et qui fait en sorte que le geste créateur est vraiment mis de l’avant».
Cette notion de gestuelle, il l’a déjà exploitée dans le passé, notamment dans l’exposition Errances, que l’Ottavien d’origine a présentée à la Galerie St-Laurent + Hill durant la pandémie. Les sillons colorés et lignes enchevêtrées qu’il laissait alors sur ses canevas reflétaient les trajets des balades pédestres qu’il effectuait, sans but précis, à travers les rues de la ville.
«Ici, les quatre très grands formats reprennent l’idée de trajet», quoique les enchevêtrements sont cette fois encadrés par des «grilles » apparues sous l’effet du ruban adhésif, pour donner une «impression de profondeur» à l’image. «L’idée d’illusion est là aussi...»
Sculptures... de tape à masquer
À l’heure où le zéro déchet a la cote, Benjamin Rodger s’est alors demandé ce qu’il pouvait bien faire de tout le ruban à masquer qui lui restait sur les bras, après l’avoir arraché des toiles... et qui finissait en grosses boules, jonchant le sol de son atelier.
Il en a fait – Eurêka ! – des sculptures.
Les boules de ruban «sculptées» ont fini sur de «faux socles en pin», c’est-à-dire déposées à l’intérieur des tiges verticales qui formeraient l’ossature d’un socle, et ce afin qu’elle conservent la forme désirée.
Leur présence vient «créer le lien entre les toiles qui se font face part d’autre de la galerie. Ça crée aussi quelque chose d’assez intéressant, visuellement, entre les lignes – très droites, très propres – des socles et ces boules tachées de restants de peinture. Le contraste est assez fort.»
«En regardant vite [les toiles], on croit que c’est un coup de pinceau [qui est à l’origine des tracés], mais non... c’est grâce au ruban. Je voulais vraiment mettre le processus de l’avant. Tout ça a été fait sur du tape, et voici le tape», explique, amusé, Benjamin Rodger – qui en est à sa deuxième invitation à la Galerie Montcalm, où il avait présenté Libre circulation, en 2013.
Jeu harmonique
«Je me suis fait plaisir avec […] plusieurs tableaux de très grands formats », ajoute-t-il en mentionnant notamment une œuvre de 8 pieds par 18 pieds. « Je n’avais jamais fait rien d’aussi gros, d’aussi haut. C’était un défi [au plan de] la gestuelle, vu la grandeur.»
Pour entremêler les bandes et créer la profondeur désirer, «j’ai dû “rentrer” le corps et tout le bras autour de la peinture» et segmenter la toile en trois panneaux distincts.
L’autre démarche conceptuelle réside au niveau des teintes choisies et de leurs harmonies.
«Pour cette exposition, j’ai choisi d’exploiter des couleurs analogues, c’est-à-dire des couleurs situées côte à côte sur le cercle chromatique. Il y a aussi des harmonies [de couleurs] complémentaires et des harmonies triadiques», lesquelles consistent à sélectionner trois couleurs formant, sur ce cercle chromatique, les pointes d’un triangle équilatéral, explique celui qui enseigne les arts visuels au Cégep de l’Outaouais.
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«Il n’y a aucune couleur pure : elles sont soient mélangées entre elles, soit mélangées à un niveau de gris, pour faire [ressortir] l’harmonie entre les couleurs.»
«Je viens de finir d’accrocher les œuvres et je suis très satisfait du résultat !», se réjouit Benjamin Rodger.