Le Barreau de l’Ontario, une institution délinquante?

Une Ontarienne qui a dû faire face à de nombreux obstacles lorsqu’elle a poursuivi son frère en cour pour abus sexuels dénonce la «délinquance» du Barreau de l’Ontario et l’obstruction qu’il fait aux francophones.

TORONTO  |  Une Ontarienne qui a dû faire face à de nombreux obstacles lorsqu’elle a poursuivi son frère en cour pour abus sexuels dénonce la «délinquance» du Barreau de l’Ontario et l’obstruction qu’il fait aux francophones.


La Dre Agnès Whitfield est professeure au département d’études anglaises de l’Université York, et une experte du domaine de la traduction. 

En 2002, elle a déposé une plainte pour agressions sexuelles contre son frère, Bryan Whitfield.

Pendant plus d’une décennie suivante, c’est son combat pour obtenir le droit d’être entendue en français qui aura pris toute la place. 

La Dre Whitfield tenait à ce que le processus judiciaire se tienne en français, étant donné que c’est en anglais qu’elle a été élevée et c’est dans cette langue qu’elle dit avoir été victime des sévices imposés par son frère.

Des avocats et des juges se sont fermement opposés à cette demande, et Agnès Whitfield a dû essuyer de nombreux frais et délais additionnels.

«transcriptions étaient illisibles»

Une fois qu’elle a eu gain de cause et qu’on lui a enfin donné le droit de témoigner en français, «un nouveau calvaire» s’est pointé: «les transcriptions étaient illisibles», se souvient-elle. 

Elle a réussi à faire reconnaître la médiocre qualité de ces comptes rendus, et le gouvernement les a reproduites à ses frais, se souvient-elle. 

Aujourd’hui, son frère est mort, mais elle garde toujours des séquelles… Des séquelles liées aux embûches auxquelles elle a dû faire face en tant que justiciable francophone.

Accusation

Dans une lettre envoyée au Procureur général de l’Ontario Doug Downey et à la ministre des Affaires francophones de l’Ontario Caroline Mulroney, la Dre Whitfield fustige le Barreau de l’Ontario, l’accusant de faire obstruction à la justice pour les francophones. Elle demande au gouvernement Ford de mettre l’institution sous tutelle et établit plusieurs autres recommandations.

La ministre des Affaires francophones de l’Ontario Caroline Mulroney 

«Le Barreau est devenu un organisme délinquant qui ne respecte pas la primauté du droit», a-t-elle lancé lors d’une entrevue accordée au Droit.

Les injustices dont souffrent les justiciers franco-ontariens sont largement documentées depuis des décennies, et le cas de la Dre Whitfield en est un bon exemple.

Le Barreau de l’Ontario doit apporter une offre active aux Ontariens, tant en anglais qu’en français, en vertu de la Loi sur les Services en français, ainsi que de la Loi sur le Barreau. 

Or, c’est loin d’être le cas, selon la professeure. «Quand on s’intéresse à l’organisation du Barreau, on se rend compte que l’une des raisons pour lesquelles la situation ne s’améliore pas, c’est parce que le Barreau ne reconnaît pas l’égalité du français et de l’anglais.»

L’AJEFO

L’Association des juristes d’expression française de l’Ontario (AJEFO) est d’avis que dans sa lettre, Agnès Whitfield fait état de plusieurs préoccupations que partage la communauté franco-ontarienne depuis plusieurs années.

«Les questions d’attente plus longue en raison du manque de personnel, de juges bilingues, on en discute depuis longtemps, ça fait souvent l’objet de rapports, et pour moi, ces éléments ne sont pas une surprise», remarque la directrice générale intérimaire de l’AJEFO, Me Alexandra Waite.

Néanmoins, le Barreau demeure un partenaire important de l’organisme. «L’AJEFO travaille avec le Barreau, nous avons des communications directes, pour ultimement améliorer le sort des justiciables francophones en Ontario. Il y a des efforts et une ouverture de la part du Barreau, et surtout de la part de la trésorière actuelle.»

Mais Alexandra Waite est d’accord pour dire que le sort des Franco-Ontariens ne doit pas reposer sur les bonnes intentions de la trésorière du moment.

«Y a-t-il du chemin à faire? Oui. Il y a un parcours à faire pour la justice égale dans les deux langues, et on saisit l’occasion pour encourager le Barreau à continuer dans cette direction.»

L’AJEFO espère que la modernisation de la Loi sur les Services en français, une promesse qui devrait se réaliser de façon imminente selon la ministre des Affaires francophones Caroline Mulroney, abordera explicitement ces problèmes.

Sans commentaires

Le bureau de la ministre Mulroney a fait savoir au Droit qu’elle suit l’évolution du dossier de près, et renvoie au Procureur général pour une réponse plus officielle.

«Je peux confirmer que le Procureur général a bien reçu la correspondance de la Dre Whitfield», a fait savoir un porte-parole.

Le bureau du Procureur général indique ne pas avoir répondu à Mme Whitfield, arguant que le Barreau de l’Ontario est un organisme autonome.