L’embrasement de Mononk Jules

Le spectacle ne contient « rien de déplacé » pour les enfants, selon le fondateur Jocelyn Sioui.

Marionnettes, vidéo, théâtre d’objet : aucun outil scénique n’est de trop pour donner corps à Jules Sioui (1906-1990), militant Wendat, héros/hérault de l’autodétermination des Premières Nations... et « grand oublié de l’histoire », au grand regret du marionnettiste, dramaturge et comédien Jocelyn Sioui, son petit-neveu.


Après avoir consacré à son grand-oncle le récit biographique Mononk Jules (2020 ; éditions Hannenorak), Jocelyn Sioui replace son aïeul au centre des planches, dans un spectacle éponyme présenté à Ottawa « en grande première mondiale », dans le cadre des Zones Théâtrales — où il est présenté en partenariat avec le Théâtre autochtone du Centre national des arts (CNA).

Mais avant même de se trouver un éditeur, Mononk Jules — que le public pourra découvrir au LabO de l’Université d’Ottawa les 14 et 15 septembre — fut d’abord et avant tout pensé pour la scène, précise Jocelyn Sioui.

Lui-même avoue qu’il ignorait énormément de choses à propos de cet ancêtre familial... et que c’est précisément pour combler cette lacune — et par la bande, « les trous de mémoire du Canada » — qu’il s’est mis à fouiller le passé de ce grand-oncle turbulent. 

En défiant les pouvoirs publics, Jules Sioui fut, dans les années 40, l’initiateur d’un « mouvement de désobéissance civile » qui, par ricochet, a mené à la création de l’Assemblée des Premières Nations, rappelle son petit-neveu.

En commençant par contester juridiquement la conscription des Autochtones — justifiée par un plébiscite venu inopinément contredire certains articles de la Loi sur les Indiens, à l’heure où les Autochtones, sous tutelle de l’État et donc « considérés comme des enfants », étaient privés de leur droit de vote — l’homme a contribué à impulser ce « long combat contre la ségrégation ».

« C’est un précurseur. Il a été l’allumette qui a déclenché tout le reste. Il a mis le doigt sur beaucoup de choses, dont l’autodétermination des nations ; on commence seulement à comprendre ce qu’est une nation, dans notre pays. Certaines choses ont été réglées, mais pas tant que ça. Et lui-même le savait ; il disait ‘je suis juste le début du combat’ ».

Effacé de l’histoire

Mais Mononk Jules va un peu plus loin que la seule obsession familiale. « À la base, c’est un spectacle sur notre façon d’écrire — ou de ne pas écrire — l’Histoire », résume Jocelyn Sioui.

Car son grand-oncle — qui fut incarcéré deux ans pour ses prises de position séditieuse, rappelle Jocelyn Sioui — a délibérément été « effacé de l’histoire », à la faveur d’une époque où le pouvoir en place ne voulait surtout pas que sa parole se propage... et risque de contaminer d’autres esprits.

Malgré le paradoxe juridique qu’il soulevait, le plébiscite fit très peu de vagues à cette époque où le regard que l’on posait sur la question autochtone était fortement teinté de colonialisme. « Sans jouer au complotiste, on sait clairement que le plan était l’assimilation complète », rappelle Jocelyn Sioui en évoquant les pensionnats. 

Leur assimilation... voire leur éradication plus ou moins subtile : parmi les hautes sphères de l’État, se servir desdits Indiens comme « chair à canon » à envoyer sur le front européen ne semblait pas une idée saugrenue. 

« Mon oncle se faisait harceler. [Mais] il a cultivé cet activisme [car il] n’avait pas peur de se retrouver en prison. » Et contrairement à l’image de contestataire isolé que les pouvoirs publics ont véhiculé de lui, « ce n’était pas un loup solitaire ; il était entouré d’un paquet de leaders autochtones », se plaît à rappeler Jocelyn Sioui.

Mon oncle se faisait harceler. Mais il a cultivé cet activisme car il n’avait pas peur de se retrouver en prison.

Apprendre à se connaître

Poussé par un souci de réhabilitation, le marionnettiste dénonce, revendique ou interroge à son tour... tout en veillant à ne pas faire de Mononk Jules un objet uniquement pamphlétaire, mais bien un outil pédagogique. 

« Les pensionnats, c’est la pointe de l’iceberg. Une énorme pointe, d’accord, mais beaucoup de choses sont restées cachées [des manuels d’histoires]. Les [Canadiens] n’ont pas appris à l’école la Loi sur les Indiens. On est en devoir de l’enseigner. Comment peut-on comprendre ce que les gens vivent dans les réserves si on ne sait pas ce qui les a amenés là ? [...] Il y a beaucoup d’incompréhension » et d’idées reçues qui persistent. Aujourd’hui encore.

« Je ne juge surtout pas le spectateur, parce que moi non plus, je ne la connaissais pas, l’histoire de mon oncle », pas plus que l’existence du plébiscite, avoue Jocelyn Sioui, qui a fouillé son sujet « pendant plus de deux ans ».

Malgré le caractère « très intime » du récit, « je ne m’enferme pas dans une bulle pour raconter mon histoire », prévient le créateur. « Il y a une vraie recherche de fond, mais la façon de raconter est très proche des gens », fait-il valoir. Sur scène, où il se présente en solo entouré de trois projecteurs vidéo, empruntant librement au conte comme au théâtre d’objet et de marionnettes, le comédien refait pas à pas le chemin qui l’a mené à redécouvrir son aïeul. 

« Le décor est composé de boîtes d’archives que j’ouvre au fur et à mesure ; le public découvre mes recherches en même temps que moi. J’essaie de faire vivre l’émotion que j’ai moi-même ressentie durant mes recherches », laisse entendre celui qui a fondé la compagnie Belzébrute band de théâtre ainsi que le OUF ! Festival Off Casteliers, devenu le plus grand rassemblement de marionnettistes au Canada, et qui est invité pour la toute première fois à Zones Théâtrales.

Spectacle évolutif

Mononk Jules est toutefois amené à évoluer, car Jocelyn Sioui aime retravailler son texte pour y intégrer l’actualité de l’heure, par exemple « les livres brûlés et mis à l’index en Ontario », qui ont défrayé les manchettes cette semaine, et qu’il songe à incorporer dans son récit.

« Plus je vais faire le spectacle, plus il va être modifié. L’histoire [est un flux] continu. Mononk Jules, je ne veux pas l’arrêter dans le temps » non plus.

La biennale Zones Théâtrales, qui ouvre la saison théâtrale du CNA et annonce le retour des spectacles en présentiel, se déroulera du 13 au 18 septembre, au fil de 30 œuvres, projets et activités présentés en salle dans différents lieux d’Ottawa et en ligne.

Renseignements et billets : CNA ; zonestheatrales.ca