Le très mince équilibre entre le droit et la santé publique

La décision de l'Université d'Ottawa (Ud'O) d'imposer aux gens qui se trouvent entre ses murs d'être vacciné fait croire à une experte en santé publique que l'administration a décidé de jouer le tout pour le tout car, dans la balance des risques, elle jugeait que de se fier à la responsabilité individuelle n'était plus suffisant pour espérer vivre une année «normale» sur le campus. Un spécialiste du droit estime quant à lui qu'il est à peu près certain que cette réglementation sera contestée devant les tribunaux.


Pour la professeure titulaire à l’école de santé publique de l’Université de Montréal, Marie-Pascale Pomey, l'éternelle question du difficile équilibre entre les responsabilités individuelles et collectives a assurément fait partie de la réflexion avant qu'on tranche avec cette décision.

«Laisser aux individus le choix de pouvoir évaluer leurs propres risques de contracter la maladie n'était pas suffisant, ils ont décidé qu'il valait mieux se positionner. Nous sommes vraiment dans les tensions entre les libertés individuelles versus la solidarité collective, et franchement, ils ont décidé d'aller vers cette option-là (la deuxième). Le curseur n'est pas toujours évident à mettre dans tout cela. L'état d'équilibre est toujours assez complexe à trouver en lien avec la gravité de la maladie mais aussi sa capacité à se propager. [...] C'est aussi une façon de stimuler la vaccination, de jouer le jeu de la santé publique, qui veut que la plus grande part de population possible soit vaccinée à deux doses», dit-elle.

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À son avis, cette annonce poussera les autres institutions postsecondaires du pays à approfondir leur réflexion et à prendre position.

«L'Université d'Ottawa nous amènera un peu à contraindre les autres établissements à être plus explicites et à se positionner sur le curseur. On laissait encore beaucoup le curseur sur le côté individuel, pour garantir un certain respect des volontés personnelles», ajoute Mme Pomey, rappelant qu'une «soupape de sécurité» existe avec les accommodements possibles pour des gens ayant des motifs de santé ou religieux, notamment. 

La spécialiste affirme que le cas de l'Ud'O vient aussi mettre en lumière un autre aspect qu'elle juge tout sauf anodin: la relation de pouvoir entre les différents paliers décisionnels. 

«Jusqu'où les universités ont une marge de manoeuvre et peuvent autoproclamer une certaine règle? Ça (cette décision) peut créer un précédent pour d'autres universités qui pourraient être tentées de prendre plus d'espace pour gérer la crise. Ils (l'Ud'O) viennent de montrer qu'une institution peut se positionner en dehors des normes dictées par le gouvernement et ça, c'est très intéressant», conclut-elle.

La notion du mur à mur

Le professeur à la Faculté de droit à l’Université de Montréal, Stéphane Beaulac, répond sans hésitation quant à savoir si cette mesure imposée par l'Ud'O sera contestée devant les tribunaux.

«Oui, elle le sera, c'est à peu près certain, il y a des gens qui attendent juste cela et qui sont vite sur la gâchette», s'exclame-t-il, faisant allusion au droit de circuler librement et au droit à l'éducation, par exemple. 

Quant à savoir si ces contestations passent le test devant un juge, c'est là que les nuances apparaissent, surtout en contexte de pandémie mondiale. 

«Généralement, dans n'importe quel contexte, plus c'est du mur à mur, plus ça risque (cette réglementation) d'être cassé par les tribunaux. Mais s'il y a une option B, par exemple du livestreaming (diffusion en direct sur le web) dans le cas des étudiants (non vaccinés). Il ne faut pas que ça devienne un fardeau déraisonnable, une contrainte excessive. Il doit y avoir une solution de rechange pour ceux qui veulent exercer une liberté fondamentale. Prenons l'exemple du couvre-feu imposé par le gouvernement Legault au Québec l'hiver dernier: on a dû reculer dans le cas des itinérants car on ne peut pas imposer à quelqu'un d'être à la maison quand il n'en a même pas. Ça se justifie s'il y a des exceptions justifiées et des mesures d'accommodement», explique-t-il.

M. Beaulac précise que l'établissement d'enseignement devra faire la preuve, devant un tribunal, que le fardeau de cette nouvelle règle est proportionnelle à la situation de crise sanitaire actuelle. C'est la Commission des droits de la personne de l'Ontario qui prime sur la Charte canadienne des droits et libertés dans ce cas-ci. 

«Y a-t-il une violation de droits fondamentaux, on peut penser que oui. Mais c'est de savoir si la mesure limitative de droits fondamentaux peut néanmoins être justifiée dans une société juste et démocratique. C'est le nerf de la guerre. [...] Est-ce que l'objectif est urgent et réel?», note le professeur, qui précise toutefois «qu'à peu près tout le monde depuis le début de la pandémie» s'entend pour dire que les mesures gouvernementales de santé publique «ne sont pas des caprices».

L'obligation d'être vacciné si on circule sur un campus de l'Ud'O doit entrer en vigueur le 7 septembre.