J’avais écrit en janvier dernier un texte sur l’ivermectine, un médicament antiparasitaire couramment utilisé pour combattre les poux et des infections à certains vers microscopiques. J’y disais que dans l’ensemble, les études partaient dans un peu tous les sens (certaines suggéraient une efficacité contre la COVID-19, d’autres non) et qu’on ne pouvait pas conclure grand-chose. Or, deux études récentes ont suggéré que ce médicament fonctionne spectaculairement bien contre la COVID-19, laissant entrevoir une réduction de la mortalité d’environ 80 %. Cela a évidemment redonné vie à cette thèse — plusieurs lecteurs m’ont d’ailleurs questionné à leur sujet depuis deux semaines. Alors voyons si l’état des connaissances a changé à ce point depuis l’hiver dernier.
LES FAITS
Avec plus de 400 000 décès liés à la COVID-19 depuis le début de la pandémie, un nombre qui est vraisemblablement très sous-estimé, je ne crois pas qu’on puisse dire que l’Inde a été épargnée. Certes, si on ramène la mortalité sur la population, l’Inde déplore «seulement» 292 décès par million d’habitants, soit beaucoup moins que le Québec (environ 1300 par million), la France (1650 par million) ou les États-Unis (1830 par million).
Mais il est très, très loin d’être évident qu’il s’agit d’un effet de l’ivermectine. Le principal facteur de risque de la COVID est l’âge, et l’Inde a justement une population très jeune : plus de 50 % des Indiens ont moins de 25 ans, contre seulement 27 % au Québec. Juste ça, ça peut expliquer une très grande partie de l’écart.
Maintenant, quels sont ces travaux sur l’ivermectine qui font tant de millage sur les réseaux sociaux ? Le premier a été publié à la mi-juin dans le Journal of Antibiotics. Il ne s’agit pas d’une «étude» à proprement parler, mais plutôt d’un texte d’opinion présentant un mécanisme d’action potentiel par lequel l’ivermectine pourrait avoir une efficacité. Cependant, le texte présume de cette efficacité, mais sans présenter de nouvelles données probantes. En fait, l’article s’appuie entièrement à cet égard sur les résultats d’une «méta-analyse» (une étude qui rassemble les données de plusieurs études) publiée sur ivmmeta.com, un site qui n’est pas révisé par les pairs (contrairement aux études qui paraissent dans de vraies revues scientifiques), dont les auteurs prétendent être des experts, mais sont anonymes et dont le compte Twitter a été suspendu pour avoir répandu des faussetés sur la COVID-19 — au sujet de l’ivermectine, mais aussi de plusieurs autres «traitements» anti-COVID douteux, comme l’hydroxychloroquine et la vitamine D.
En outre, une semaine après la parution de cet article, l’éditeur du Journal of Antibiotics a ajouté une note indiquant qu’il avait reçu de nombreuses critiques et qu’il allait en tenir compte. On verra quelles suites seront données (ou non) à tout cela mais, en attendant, il semble que cet article ne soit pas une source particulièrement fiable.
Ce qui nous amène à la seconde étude, parue dans l’American Journal of Therapeutics. Ses auteurs ont fait leur propre méta-analyse en agrégeant les données de 24 études différentes et ont conclu que l’ivermectine réduit le risque de mortalité de pas moins de 62 % chez les patients atteints de la COVID. L’ennui, cependant, c’est que les études agrégées sont de piètre qualité. Elles étaient en général très petites (sur les 24, seulement quatre portaient sur plus de 200 patients), ce qui est particulièrement problématique quand on veut mesurer un phénomène rare comme la mortalité due à la COVID-19. Et de plus, la plupart comportaient de forts risques de biais. Selon l’évaluation des auteurs mêmes de la méta-analyse, seulement trois sur les 24 répondaient à tous les critères de qualité voulus. (Et encore, lesdits auteurs semblent avoir considéré comme raisonnablement solides des études qui ne l’étaient en réalité pas du tout, leur a reproché l’épidémiologiste anglais Gideon Meyerowitz-Katz, mais passons.)
Notons que parmi ces trois études de bonne qualité, l’une n’a pas trouvé de bénéfice à l’ivermectine et les deux autres ont mesuré des effets positifs relativement minces : une charge virale apparemment réduite après 5 jours (mais pas assez pour que ce soit statistiquement significatif) dans un cas, et une période de guérison un peu plus rapide dans l’autre — encore que cette dernière étude a aussi trouvé que l’ivermectine réduisait pas mal le risque de faire une forme sévère de la maladie.
Bref, c’est une méta-analyse qui repose sur des études qui sont principalement de mauvaise qualité, et les rares qui sont plus solides n’ont soient pas observé de bienfaits, soit n’en ont mesuré que des relativement mineurs. Ce n’est pas cohérent avec l’idée d’une réduction drastique de la mortalité. Les auteurs de cette méta-analyse, remarquez bien, n’avaient pas tellement le choix de se fier à des données possiblement biaisées parce que la faible qualité des études sur l’ivermectine contre la COVID-19 a été notée et dénoncée à de nombreuses reprises au cours des derniers mois.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le British Medical Journal, dans une (autre) méta-analyse récente, a indiqué que «les effets de l’ivermectine ont été cotés comme étant de très faible certitude» — et ce, tant pour le traitement que pour la prévention de la COVID.
Rien de tout cela, soulignons-le, n’est une preuve que l’ivermectine ne fonctionne pas. Après tout, si les données sont de faible qualité pour prouver qu’elle marche, elles le sont aussi pour démontrer l’inverse. Peut-être qu’un grand essai clinique rigoureusement mené finira par prouver hors de tout doute que l’ivermectine est le médicament-miracle que l’on dit. À cet égard, l’essai clinique britannique PRINCIPLE a annoncé à la fin de juin qu’il testerait ce médicament sur plus de 5000 volontaires. Alors peut-être qu’il lui trouvera une utilité, ça reste à voir.
Mais en attendant, ce qu’on a, ce n’est rien de plus qu’une série de petites études peu concluantes, dont un certain nombre suggèrent une efficacité, mais d’autres non.
VERDICT
Loin d’être clair. Deux études récentes ont bel et bien conclu en faveur de l’ivermectine pour traiter la COVID-19, mais dans l’ensemble les données sur cette question sont contradictoires et de faible qualité — trop pour conclure avec certitude dans un sens ou dans l’autre pour l’instant.
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