Le drame est survenu le 21 mai dernier. Francis Desrochers, 28 ans, un policier de Gatineau, n’a laissé aucun signe avant-coureur à ses proches. C’était un vendredi soir, il est arrêté prendre le souper chez sa mère, il a jasé de ses actions en bourse et du pique-nique que lui, ses parents et ses deux soeurs allaient faire le lundi suivant. Puis il a quitté pour le travail, laissant son chien Rebelle sous la garde de sa mère, comme il le faisait chaque fois qu’il s’apprêtait à travailler ses longs quarts de travail du week-end.
Alors qu’il quittait, sa mère lui a demandé: « Es-tu heureux mon grand ? », comme elle lui demandait chaque fois qu’elle le voyait. Francis a haussé les épaules et, d’un léger sourire, il lui a répondu: « Correct », comme il le faisait chaque fois qu’elle lui posait la question. Puis il est parti.
Un peu plus tard en soirée, Francis s’est enlevé la vie avec son arme de service.
« On ne comprendra jamais son geste, a écrit sa mère dans une lettre, un cri du coeur publié dans l’édition du Droit du mardi 1er juin. Rien ne nous laissait deviner le désespoir dans lequel il avait sombré. Il nous a tous bernés, ses amis, ses collègues, ses soeurs, son père et moi », a ajouté Mme Brunette, qui est présidente du conseil d’administration de la fondation de l’Université du Québec en Outaouais (UQO) et une professionnelle des communications bien connue à Gatineau.
« Mon frère s’est gravement trompé en choisissant une solution permanente à un problème temporaire, a ajouté Caroline Desrochers, la soeur de Francis, sur sa page Facebook. Je ne comprendrai jamais vraiment pourquoi il a commis ce geste. Mon frère était aimé de sa famille, de ses amis, de ses collègues. Il avait 28 ans et toute la vie devant lui, il aurait pu se réinventer mille fois. »
Personne ne pouvait deviner ce qui se passait dans la tête du jeune policier. Souffrait-il d’un stress post-traumatique ? D’une surcharge de travail ? Du confinement interminable ? Personne ne le sait. Et Francis, comme a écrit sa mère, « s’était forgé au fil des ans un personnage tranquille, drôle, travaillant, droit comme une barre, pas d’problème, pas de stress ». C’était sa façon, croit-elle, de se protéger de ses émotions et de sa détresse.
Non, personne ne saura vraiment jamais pourquoi il a mis fin à ses jours. Mais chose certaine, son départ a secoué toute une communauté et laissé à tout jamais un grand trou noir dans le coeur et l’âme de ceux et celles qui l’aimaient.
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« Un suicide laisse dans le deuil et la souffrance des centaines de gens, dit la Dre Monique Séguin, professeure en psychologie et psychoéducation à l’UQO et chercheure au Groupe McGill sur le suicide. Mais la personne ne pense pas à ça. La personne qui pense au suicide vit une détresse et une souffrance terribles qui amènent une restriction cognitive. Quand on souffre, quand on est toujours malheureux, ça amène une restriction cognitive. Et la personne en arrive à percevoir sa vie comme étant négative. À se percevoir comme étant un fardeau. La personne en arrive à croire que si elle n’existe plus, ça va soulager les autres.
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« Mais il faut voir comment les gens sont dévastés après le décès d’un proche. La famille est jetée à terre, les amis, l’entourage. Un décès par suicide touche en moyenne plus de 100 personnes qui sont bouleversées à différents degrés. C’est sûr que, souvent, les gens suicidaires ne pensent pas à ça. Ils se perçoivent de façon si négative qu’ils ne peuvent même plus imaginer qu’ils peuvent avoir une importance aux yeux des autres. Et ça, c’est terrible. »
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Dans une lettre intitulée « SVP, brisez le silence ! » et publiée dans Le Droit du 29 mai dernier, une semaine après le drame, le président de la Fraternité des policiers et policières de Gatineau, Steve Spooner, a écrit: « Le milieu policier a besoin d’aide, de soutien et d’outils. Le travail est de plus en plus complexe et il faut prendre soin de la santé mentale des intervenants. Il faut éviter que d’autres familles, amis, enfants et collègues aient à vivre des événements aussi tristes. Je vous demande d’être attentif aux gens qui vous entourent, soyez braves et brisez le silence ! »
Dre Séguin est tout à fait d’accord. Le milieu policier a effectivement besoin d’aide, de soutien et d’outils. Mais encore faudrait-il que les fonds nécessaires à l’aide requise soient alloués.
« Un suicide n’est pas comme un accident sur la route, dit-elle. Sur la route, on intervient sur la limite de vitesse, sur l’alcool au volant et sur le port de la ceinture. On intervient sur ces trois choses et on diminue de 50 % le nombre d’accidents.
« Mais il y a plus que trois facteurs à risque quand il est question du suicide. Il y en a une multitude. Il faut donc penser à différentes stratégies. Laisser son arme de service entreposée au poste quand on termine son quart de travail en est une. Mais il y aurait aussi l’éducation, la sensibilisation, les suivis. Il faudrait faire plus de suivis. Et il faut aller au-devant des choses. Souvent, on donne un numéro de téléphone et on dit à la personne: « Si vous avez besoin d’aide, appelez-nous. » Mais souvent, les gens qui sont en détresse ne savent pas toujours de quoi ils ont besoin. On a parfois mal en quelque part et on ne sait trop ce qui va nous aider. Il faut donc faire plus d’interventions et de suivis. Il faut aller ‘au-devant de’. Et ça, évidemment, ce sont des services un peu plus coûteux, qui demandent plus d’organisation, de structures, de formation et le reste. Et en santé mentale, les fonds ne sont pas toujours là, laisse tomber la docteure en psychologie.
« Les policiers vivent des traumas importants et ils ne sont pas nécessairement formés pour ça, reprend-elle. Ils vivent des choses terribles. Et ce sont de jeunes personnes, des jeunes dans la vingtaine qui sont confrontés à ce genre de drame-là jour après jour. C’est sûr que ça va laisser des traces.
« Il y a cependant des types de personnes qui n’iront pas consulter. On parle souvent de jeunes adultes qui sont plus réticents à aller consulter, pour toutes sortes de raisons. Ça leur prend plus de temps à identifier les signes et symptômes qu’ils vivent comme étant potentiellement des troubles d’anxiété, des troubles dépressifs ou des troubles de stress post-trauma. Donc dans ce sens-là, il faut mieux enseigner aux personnes que lorsqu’ils ne vont pas bien psychologiquement, que l’aide est possible. Que l’aide est là. Que ce n’est pas un manque de courage d’aller consulter. Au contraire. C’est faire preuve de courage. »
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Vous ou vos proches avez besoin d’aide ? N’hésitez pas à appeler au 1-866-APPELLE (277-3553), ou encore Tel-Aide Outaouais