Emné Nasereddine : archiver la mémoire des femmes du Liban

Emné Nasereddine

«C’est anecdotique, mais je me souviens quand j’ai su que La danse du figuier allait être dans la bibliothèque des archives nationales du Québec. Je me suis dit "Ce sont les voix de ma grand-mère et de ma mère qui sont archivées." Parce que la mienne est accessoire», confie l’autrice Emné Nasereddine, en entrevue au Soleil.


Fin 2017, Emné Nasereddine débute la création de La danse du figuier. À cette époque, elle ne sait pas qu’elle est en train d’écrire son tout premier livre, ni même qu’elle le publiera un jour. La jeune femme sent le besoin de parler de la mort de sa mère. Les poèmes coulent. Ils l’aident à guérir, à refaire son processus de deuil.

«Son décès est arrivé pendant une commémoration religieuse, au Liban, pour les chiites. C’était comme si on avait été un peu dépossédé des funérailles parce qu’il n’y avait pas de place pour nous», raconte-t-elle.

Quelques années plus tard, c’est la pandémie qui frappe le monde entier. Et, au Liban, l’état de santé cognitif de sa grand-mère se détériore sans qu’elle puisse aller la visiter. Une urgence s’empare alors de l’autrice qui vit désormais à Montréal. Elle doit écrire à nouveau : «J’avais l’impression qu’elle allait partir en emportant sa voix avec elle. J’ai créé les textes très rapidement. Comme si j’avais déjà son récit à l’intérieur de moi.»

Pour Emné Nasereddine, sa grand-mère est une femme héroïque, qui porte en elle toute la mémoire des femmes du sud du Liban.

Entre-temps, un «besoin de revenir au Liban» et un sentiment de «grand déracinement» naissent en elle. Cette fois-ci, la poésie d’Emné Nasereddine voyage de Montréal à Beyrouth, remet en question le territoire et sa légitimité sur l’un ou l’autre.

Après ce «travail d’introspection», plus aucun doute ne persiste pour l’autrice : la voix des femmes qui l’ont élevée doit être rendue publique.

Divisé en trois sections – Téta (la grand-mère), Fadwa (la mère) et Emné (la fille) –, La danse du figuier se construit alors de la tendresse et de la douceur maternelle, mais aussi des grandes épreuves qui ont mis à mal les liens de sang. La guerre, la mort et l’exil sont ainsi bien présents dans le recueil.

La pomme n’est pas tombée loin de l’arbre. Sur la photo, on aperçoit la mère de l’autrice récitant de la poésie.

Si Emné Nasereddine n’aborde pas toujours de front, par exemple, le conflit israélo-libanais, elle témoigne toutefois des blessures qu’il a causées chez son aïeule et des peurs qui l’habitent. Des cicatrices qu’elle a d’ailleurs données à sa petite-fille.

«Moi, je n’ai jamais connu l’occupation. Mais ma mère, ma grand-mère, mes oncles et mes tantes, oui. Que je le veuille ou non, ils m’ont transmis des angoisses et un rapport à la terre [spécifique] que j’entretiens encore aujourd’hui», confie l’autrice, qui est née en France avant de retourner grandir au Liban.

Sous l’arbre

En plus du titre, le figuier revient à quelques reprises dans le recueil de poésie d’Emné Nasereddine. Lié à sa jeunesse, cet arbre à fruit qu’elle voyait, petite, beaucoup plus immense que ce qu’il est en réalité, est l’héritier d’une puissante symbolique dans l’esprit de l’autrice.

«Après le décès de ma mère, il avait été coupé. […] Je l’ai vécu comme une blessure. C’était comme si on brisait mon dernier lien à l’enfance.»

Entre les grands-parents d’Emné Nasereddine, on voit au loin une trace du fameux figuier qui était, dans les faits, plus chétif qu’«imposant».

En plus de représenter le signe qu’elle était «arrivée à la maison», la plante lui rappelait aussi le geste rassurant de sa grand-mère qui cueillait les figues pour ses petits-enfants, à qui elles les offrait comme un riche cadeau gorgé de sucre.

L’autrice puise ainsi dans ses souvenirs afin de parsemer son ouvrage de tendresse. Une «déclaration d’amour» personnelle et intime qu’elle dirige tout droit vers ses aînées.

Pour les femmes du Liban

Emné Nasereddine ne s’adresse toutefois pas qu’à celles qui l’ont précédée. De façon plus générale, elle parle aussi à et de toutes les Libanaises.

L’écriture de son premier ouvrage a d’ailleurs été un moyen pour elle de «déconstruire ses préjugés sur les femmes musulmanes du sud du Liban», admet-elle.

Lorsqu’elle quitte son pays d’origine pour Montréal, l’étudiante en littérature s’envole en posant «un regard sévère» sur toutes ces filles qui acceptent de devenir mères très jeunes. Pour elle, à l’époque, «il n’y a pas de réussite là-dedans».

Avec du recul, une «prise de conscience tardive» la happe toutefois : «Je m’en suis voulu. Maintenant, je réalise à quel point il faut être forte pour vivre dans un pays masculin, qui a connu la guerre et où la femme doit se prouver chaque jour.»

Dans La danse du figuier, Emné Nasereddine salue ainsi toutes ces femmes «qui sont féministes dans leur résilience» et leur résistance.


La danse du figuier paraîtra en librairie le 2 juin.