Apprentissage virtuel en Ontario: «un plan inacceptable»

Selon la présidente de l’Association des enseignantes et enseignants franco-ontariens, Anne Vinet-Roy, l’enseignement en personne cadre beaucoup mieux que l’école virtuelle avec la profondeur et la portée des attentes en matière d’apprentissage.

Jugeant qu’il s’agit d’un plan inadmissible élaboré derrière des portes closes et que le ministre Stephen Lecce est déconnecté de la réalité, les syndicats du monde de l’éducation et des regroupements de parents en Ontario ont fait front commun mercredi pour dénoncer le gouvernement Ford, qui selon eux veut rendre permanent l'apprentissage virtuel.


«Il est complètement inacceptable que le gouvernement Ford et son ministre Lecce aient été incapables de planifier adéquatement le retour physique ou en présentiel à l’école à plus d’une reprise au cours des derniers mois, ni d’assurer une réelle sécurité de nos communautés scolaires, mais a tout de même trouvé le temps, les ressources et l’énergie pour manigancer un plan ayant essentiellement pour but de soustraire des ressources essentielles à notre système d’éducation financé par les fonds publics de classe mondiale, dit-on, et par ricochet de négliger les réels besoins des apprenants», lance la présidente de l’Association des enseignantes et enseignants franco-ontariens (AEFO), Anne Vinet-Roy.

Cette dernière et les autres acteurs du milieu craignent que même lorsque la pandémie sera derrière nous, les familles ontariennes pourront désormais toujours faire le choix entre l'école virtuelle et l'école en salle de classe. Selon elle et ses homologues, on s'apprête à créer un système à deux vitesses en empruntant cette avenue.

«Pour enseigner et apprendre le curriculum, il faut beaucoup plus ce que ce que nous offre un environnement d’apprentissage en ligne. Comme le décrit le document ‘Faire croître le succès’ du gouvernement, l’enseignement en personne cadre beaucoup mieux que l’école virtuelle avec la profondeur et la portée des attentes en matière d’apprentissage. Peut-être que le gouvernement connaît mal ses propres politiques. [...] En créant un mode d’apprentissage en ligne auquel seules certaines familles et seule certains élèves pourront participer compte tenu d’obstacles hors de leur contrôle, le ministre fait preuve de négligence à l’égard de son devoir d’assurer que tous les apprenants profitent du même succès», renchérit Mme Vinet-Roy, citant par exemple la qualité du service Internet et les familles marginalisées.

La présidente de l’Association des enseignantes et enseignants franco-ontariens, Anne Vinet-Roy

Elle rappelle que l’apprentissage en ligne a des impacts négatifs sur la motivation et la réussite de bon nombre d’élèves.

Une telle décision aurait aussi des conséquences néfastes sur l'éducation en français en sol ontarien, ajoute-t-elle, spécifiant qu'il serait «complètement illogique» que le gouvernement tourne le dos à sa propre Politique d'aménagement linguistique en «imposant une méthode d'apprentissage qui isolerait les élèves et limiterait les échanges entre eux (francophones)».

«Pour nos élèves francophones, l'école est souvent bien plus qu'un simple bâtiment ou un lieu d'apprentissage. C'est souvent un carrefour essentiel, le centre d'un grand nombre d'échanges et d'activités qui n'existent pas nécessairement à l'extérieur de l'école en français. L'école de langue française, en personne et en contexte minoritaire, contribue à la vitalité de nos communautés francophones d'un bout à l'autre de l'Ontario en permettant aux jeunes de vivre notre langue et notre culture, et pas seulement de l'apprendre comme matière scolaire», lance Mme Vinet-Roy.

À son avis, il s'agit d'un choix strictement «politique» car un très faible nombre de parents ont réclamé une telle alternative. Pour ceux dont c'est le cas, elle rappelle que les conseils scolaires offrent déjà à la pièce des options d'apprentissage virtuel dans des cas particuliers.

​En plus de l’AEFO, la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario (FEEO), l’Ontario English Catholic Teacher’s Association (OECTA), la Fédération des enseignantes-enseignants des écoles secondaires de l’Ontario (FEESO), le Conseil des syndicats des conseils scolaires de l’Ontario (CSCSO-SCFP) ainsi que les organismes Ontario Autism Coalition et Ontario Families for public education ont aussi uni leur voix pour protester contre les intentions du gouvernement Ford.

Sam Hammond, président de la FEEO, estime que le gouvernement progressiste-conservateur tente de privatiser l'apprentissage en ligne.

«C'est un plan qui a été concocté derrière des portes closes durant une pandémie mondiale, pendant que les familles et les travailleurs de l'éducation ont mis tout leur coeur pour s'assurer que les élèves soient en sécurité (à l'école)», a-t-il lancé en point de presse, déplorant qu'un élève pourrait faire son parcours de la maternelle jusqu'à la 12e année sans jamais mettre les pieds dans une classe.

Son homologue Liz Stuart, de l'OECTA, a renchérit en disant que l'apprentissage en présentiel est ce qu'il y a de meilleur au point vue du développement à la fois académique, social et émotionnel. 

Sam Hammond, de la FEESO, croit que le gouvernement ontarien essaie «honteusement» de profiter de cette crise sanitaire pour imposer son agenda politique.

«Il est clair depuis un certain temps que le gouvernement Ford a un programme idéologique. Ce n'est pas ce sur quoi il a fait campagne et ne l'a jamais admis, mais ça se révèle à travers ses actions», s'est-il exclamé, craignant lui aussi les iniquités qui pourraient se créer en offrant en permanence les deux choix (virtuel ou en classe) aux parents ontariens.

Les écoles ontariennes sont fermées depuis la mi-avril et ce jusqu’à nouvel ordre en raison de la troisième vague de la COVID-19.

Une réouverture des écoles avant la fin de l'année scolaire, comme le fait le Québec, serait possible si le gouvernement Ford acceptait d'investir davantage dans les mesures de sécurité, affirme Anne Vinet-Roy.

«Dans un monde idéal, ce serait mieux d'être en personne. Le personnel scolaire préfère cela, c'est meilleur pour les élèves, les familles, etc. 

Sauf que malheureusement, le gouvernement actuel ne fait pas le nécessaire pour appuyer les besoins réels actuels, il continue de prétendre qu'il fait X, Y et Z, qu'il investit de l'argent à gauche et à droite, mais c'est malheureusement faux», se désole-t-elle.

Le gouvernement ontarien a annoncé mardi qu’il injectera plus de deux milliards $ additionnels en éducation pour l’année scolaire 2021-2022, notamment pour bonifier les services d’apprentissage à distance. De cette somme, 1,6 milliard $ doit servir à «des ressources destinées à lutter contre la COVID-19», par exemple l’embauche de personnel, la réduction de la taille des classes et l’amélioration de la connectivité dans les établissements scolaires. Une somme supplémentaire de 561 millions $ sera aussi accordée pour les Subventions pour les besoins des élèves (SBE).

« Aucun gouvernement dans les annales de l’Ontario n’a investi autant que notre gouvernement dans l’éducation publique. Alors que nous continuons de travailler avec le médecin hygiéniste en chef afin d’évaluer la reprise sécuritaire de l’apprentissage en classe, notre principale priorité demeure la sécurité en salle de classe», a indiqué le ministre de l’Éducation Stephen Lecce.

Le ministre de l’Éducation de l'Ontario, Stephen Lecce

Selon le gouvernement Ford, les conseils scolaires ont reçu la consigne d’attendre au minimum le 1er juin avant de demander aux parents de se prononcer sur le choix entre l’apprentissage en personne ou à distance