Le mur a été frappé, selon les CPE

Les CPE s'arrachent la main-d'œuvre à l'heure actuelle.

« On a vraiment, vraiment frappé un mur. Quand on parle d’être au fond du baril, nous sommes arrivés à cette étape-là. »


Ces paroles qui frappent l’imaginaire sont celles de la directrice générale de l’Association québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE), Geneviève Bélisle, quand elle aborde la problématique grandissante de la pénurie d’éducatrices d’un bout à l’autre de la province, y compris en Outaouais.

« On le vit quotidiennement. Les bris de service et la pénurie de main-d’œuvre sont un enjeu. En ce moment, on a un enjeu sur les vacances estivales. Ça devient un gros casse-tête, car les éducatrices ont des vacances à prendre et on a refusé des vacances pendant l’année, car on manquait de personnel sur le plancher », note-t-elle en entrevue avec Le Droit.



Les gens (gestionnaires) nous disent : je ne sais pas comment je vais m’organiser pendant l’été pour offrir le service aux familles et être capable d’offrir des vacances au personnel. Le mur, on l’a frappé.

Pour ajouter à tout cela, l’Outaouais est l’une des régions où la situation est la plus critique et qui est dans le radar de l’AQCPE.

« C’est une région qui était déjà problématique avant la pandémie, on s’inquiétait déjà des taux de diplomation et des enjeux de recrutement. Les gestionnaires nous disaient : on essaie d’amener des gens en entrevue, mais c’est difficile d’avoir des candidates, souvent elles n’ont pas nécessairement les qualifications. L’autre particularité dans la région, à Gatineau, c’est que les éducatrices formées en Ontario ne peuvent pas venir au Québec travailler, car elles ne sont pas nécessairement reconnues, c’est plus compliqué. Ça ajoute aussi à votre écosystème », affirme Mme Bélisle.

Cette dernière rappelle que ce n’est qu’en octobre dernier, lors d’un forum sur la requalification, que Québec a officiellement reconnu que le milieu devait jongler avec une pénurie de personnel. Dans son vocabulaire, il parlait auparavant de rareté de main-d’œuvre, mais l’AQCPE a toujours répété que les remplaçantes se faisaient rarissimes et que le taux de diplomation dans le domaine dans les cégeps est à peine de 25 %.



Même si ça ne réglera pas tous les maux, car il manque pas moins de 10 000 éducatrices dans le réseau, Mme Bélisle ne cache pas fonder beaucoup d’espoir dans le programme de recrutement qu’annoncera éventuellement le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe.

« Nous, ce qu’on a proposé au ministre, c’est un projet de formation majeure, un peu comme avec les préposés aux bénéficiaires. C’est aussi quelque chose qu’on avait vécu quand le réseau avait été créé au début des années 2000. [...] On a rencontré la Fédération des cégeps, la Commission des partenaires du marché du travail, les syndicats, d’autres associations de garderies et on arrive à un design d’une attestation d’études collégiales (AEC) de 1000 heures avec stage, où l’étudiante dès la première journée sera embauchée. Elle va travailler de 16 à 20 heures puis être payée pour la formation. On va pouvoir former 2250 éducatrices. Pour nous, c’est une petite lumière au bout du tunnel », dit-elle.

Soulignant qu’on « s’arrache la main-d’œuvre » depuis un certain moment, elle pense que c’est l’aspect salarial qui jouera contre le milieu de la petite enfance et que le gouvernement doit s’attaquer à cet aspect.

« Ça reste quand même l’un des programmes de formation collégiale les moins bien payés. C’est sûr que quand vous pouvez aller travailler chez Kraft Canada pour 22 ou 23 $ de l’heure en formation versus venir s’occuper de tout-petits pour lesquels ça demande beaucoup de connaissances, de sensibilité et de patience, peut-être que ça va vous tenter d’aller dans une industrie, faire du 8 à 4 et ne pas vous casser la tête en arrivant le soir. [...] Comment se fait-il qu’une éducatrice en service de garde scolaire, qui a des enfants plus vieux, qui n’a pas besoin d’une formation du même niveau, gagne 4 $ de plus de l’heure dès le départ ? Le ministre Roberge (Éducation) a fait une grosse offensive cet automne et on a perdu plein d’éducatrices qui sont allées dans le réseau scolaire », déplore-t-elle, ajoutant qu’on a déshabillé Pierre pour habiller Paul.

Comme d’autres, Mme Bélisle pense que la vision de la société pour ce métier doit changer.

« On dirait qu’il y a encore des mentalités à faire cheminer, car on reconnaît plus ou moins que c’est un travail d’éducation, que les parents ont le droit de confier leur enfant quelqu’un qui va en prendre charge de manière professionnelle pendant qu’eux vont avoir des activités professionnelles. (...) Je pense qu’il y a une reconnaissance gouvernementale et des idéologies qui n’ont peut-être pas cheminé assez rapidement », dit-elle.

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