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Aide (parlementaire) à mourir

CHRONIQUE / Après des mois de tergiversations, le projet de loi sur l’aide médicale à mourir a été adopté par la Chambre des commune jeudi soir, permettant de croire qu’Ottawa sera en mesure de respecter l’échéance du 26 mars fixée par le tribunal. Le Sénat doit encore donner son aval à la version modifiée du texte, mais tout indique qu’il s’inclinera devant les élus puisqu’une de ses demandes principales — que la santé mentale cesse éventuellement d’être exclue du régime — a été acceptée.


Encore une fois, c’est donc à minuit moins cinq, et le fusil (judiciaire) sur la tempe, que le Parlement aura donné au pays une loi aussi capitale. En 2016, c’était pour répondre à un ultimatum de la Cour suprême que le Canada s’était doté de sa première loi. Cette fois, l’échéancier imposé par la Cour supérieure du Québec obligeait Ottawa à élargir son régime initial pour inclure les personnes n’étant pas en fin de vie. Cela en dit long sur l’incapacité chronique des élus fédéraux de prendre à bras-le-corps les enjeux sociaux épineux: ils préfèrent se faire forcer la main par les juges, quitte à pester contre l’activisme judiciaire par la suite. Le Québec aurait quelques leçons à donner en la matière.

Si au moins la lenteur des dernières semaines à liquider cette question découlait d’un souci sincère de débattre à fond de cette question profondément morale. Mais non: ce sont surtout des impératifs partisans qui ont guidé les élus.

Du côté conservateur, Erin O’Toole, malgré sa profession de foi pro-choix, a laissé la frange pro-vie de son caucus prolonger inutilement le débat. Le nouveau chef a-t-il voulu lui accorder un prix de consolation? Ou est-il simplement incapable de contrôler ses troupes? Quoi qu’il en soit, ce sont ses députés opposés à l’avortement et à l’euthanasie en général qui ont répété en boucle les mêmes arguments. Ted Falk, Tamara Jansen et Garnett Genuis, pour ne nommer qu’eux, ont ainsi pris la parole quatre fois chacun. À chacune des étapes parlementaires, les conservateurs, bien que constituant le tiers de la députation aux Communes, ont livré deux, quatre et même 11 fois plus de discours que les députés de tous les autres partis réunis.

Le chef conservateur Erin O'Toole

Les conservateurs font tout un plat de l’amendement sénatorial, accepté par le gouvernement, qui autorisera dans deux ans les personnes atteintes uniquement d’une maladie mentale d’accéder au régime. Changement radical de paradigme!, crient-ils en choeur pour justifier leurs palabres. Et de faire défiler en conférence de presse des personnes ayant subi des épisodes de dépression pour illustrer les dangers de cet élargissement.

C’est un sophisme, évidemment. La dépression, aussi profonde soit-elle, n’ouvrira pas à elle seule la porte de l’aide médicale à mourir. Les critères d’admissibilité demeurent les mêmes: il faut être atteint d’une maladie grave et irrémédiable (la dépression se soigne) causant des souffrances persistantes et intolérables. De l’avis des experts ayant témoigné, très peu de personnes pourraient se qualifier. On pense aux schizophrènes.

Mais surtout, les conservateurs font preuve d’une bien grande naïveté en croyant que l’interdit sera levé sans autre forme d’encadrement. Le gouvernement a déjà dit qu’il mandatera un comité d’experts pour lui faire des recommandations sur le sujet d’ici 12 mois. Il lui restera alors encore un an pour changer à nouveau la loi. Bref, les libéraux ont amadoué le Sénat avec un compromis peu contraignant. D’autres pourraient appeler cela un marché de dupes…

Les libéraux, de leur côté, ont joué un jeu d’une tout autre nature. «Quand la vie vous donne des citrons, faites de la citronnade», dit un proverbe anglais. Pourquoi se démener à faire accélérer le débat quand on peut se régaler du spectacle d’un Parti conservateur s’enlisant dans ses ornières de droite sociale? Rien de tel que l’épouvantail pro-vie pour rameuter au PLC les électeurs centristes. Andrew Scheer l’a appris à ses dépens en 2019. Pourquoi tout faire pour respecter la date butoir de la Cour supérieure du Québec quand les conservateurs, en faisant fi, donnent l’impression qu’ils se foutent des conséquences de l’application sans balises du jugement de 2019 dans cette province qu’ils disent courtiser?

Le premier ministre du Canada et chef libéral, Justin Trudeau

Aussi les libéraux ont-ils décliné l’offre du Bloc québécois d’utiliser leur journée d’opposition pour débattre d’aide à mourir. Et ils ont attendu une sortie publique d’Yves-François Blanchet avant de limiter le débat et forcer la tenue d’un vote.

Cette approche attentiste a aussi l’avantage de justifier un scénario électoral printanier, que Justin Trudeau ne tente plus de dégonfler. La difficulté à adopter le projet de loi sur l’aide à mourir a donné de la crédibilité à son affirmation que le Parlement n’est plus gérable. Il peut aussi brandir comme preuve de blocage le projet de loi bonifiant l’Allocation pour enfants en bas âge, débattu lui aussi très longuement. À sa décharge, toutefois, le gouvernement essaye encore de le faire progresser.

Mais on ne peut pas en dire autant de ceux sur la carboneutralité, le resserrement du contrôle des armes à feu, l’abolition des peines minimales, la déclaration de l’ONU sur les peuples autochtones ou encore les thérapies de conversion, qui poireautent tous au feuilleton. Ces projets de loi ont en commun de différencier les libéraux des conservateurs selon une ligne idéologique claire. Justin Trudeau aura beau jeu de présenter ces initiatives frustrées comme autant de raisons légitimes de solliciter un nouveau mandat auprès de la population. Et c’est ainsi que le Parlement deviendra un argument de mise à mort du gouvernement libéral dans l’espoir de décrocher une majorité… avant que la pandémie ne se termine et cesse de faire ombrage à Erin O’Toole.