En point de presse virtuel vendredi après-midi, le maire de Gatineau, Maxime Pedneaud-Jobin, a voulu expliquer les raisons poussant la Ville à soumettre une requête pour permission d'en appeler à la Cour d'appel dans le dossier l'opposant à la Commission des droits de la personne et des droits et des droits de la jeunesse et au résident d'Ottawa Serge Nyembwe pour un incident survenu en 2013.
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Dans une décision rendue à la mi-janvier, le Tribunal des droits de la personne avait statué que Serge Nyembwe avait été interpellé par des policiers qui tentaient de localiser un suspect dans un dossier de violence conjugale parce qu'il était «la première personne à la peau noire aperçue par les policiers», et non parce qu'il répondait à la description de l'individu recherché. La juge Magali Lewis a statué dans cette décision que M. Nyembwe a été victime de profilage racial, tout en condamnant la Ville et les deux policiers impliqués à lui verser 18 000$.
Le maire a d'entrée de jeu souligné qu'il s'agit d'un dossier sensible. «On se retrouve devant un jugement du tribunal qui dit qu'il y a eu un cas de profilage racial chez nous, a-t-il rappelé. Si on avait [...] à faire un choix purement politique là, je crois qu'on ne serait pas nombreux à […] vouloir un appel.»
Les services juridiques de la Ville estiment toutefois qu'il y a eu des erreurs de droit touchant «des éléments importants» dans la décision de la juge Lewis, a mentionné M. Pedneaud-Jobin. «La Ville considère que le fardeau de la preuve a été renversé, c'est-à-dire qu'il nous a fallu démontrer l'absence de profilage plutôt que le plaignant doive faire la preuve du contraire, donc de prouver qu'il y en avait eu, a-t-il expliqué. Pour nous, ça ne correspond pas au cadre légal actuellement en vigueur, et si on veut renverser le fardeau de la preuve, ça appartient au législateur de faire ce choix-là».
La demande d'appel soumise par la Ville vise aussi la question des délais encourus entre le dépôt de la plainte de M. Nyembwe à la Commission, en janvier 2014, et l'introduction du recours auprès du Tribunal des droits de la personne, à la fin de l'été 2018.
«[Les délais[...] n'ont pas permis, selon nous, aux policiers d'avoir droit à une défense pleine et entière, a fait valoir le maire. Il y a plusieurs arrêts qui ont démontré que les délais peuvent avoir un impact sur la qualité de l'exercice judiciaire, je pense notamment à l'arrêt Jordan.»
Peu de temps après la publication de la décision du Tribunal des droits de la personne, le maire Pedneaud-Jobin avait présenté ses excuses à M. Nyembwe. «Je déplore que ça se soit passé, avait-il mentionné, le 19 janvier dernier. J'offre toutes mes excuses à la victime de la part de nos services et de nos citoyens.» Le maire avait à l'époque précisé que ces excuses ne signifiaient pas nécessairement qu'une procédure d'appel était exclue.
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Le requête pour en appeler du jugement de première instance ne signifie toutefois par que la Ville rejette l'entièreté de la décision. Tout en condamnant la Ville et les deux policiers concernés à indemniser Serge Nyembwe, la juge Lewis a formulé deux recommandations. L'une vise à ce que tous les membres du Service de police de la Ville de Gatineau (SPVG) lisent un rapport sur «les interpellations policières à la lumière des identités racisées des personnes interpellées», remis en 2019 au Service de police de la Ville de Montréal.
L'autre recommandation suggère à la Ville et au SPVG de mandater «une équipe de chercheurs indépendants» pour analyser les données locales sur les interpellations, ou, à défaut, que les recommandations du rapport soumis au SPVM soient mises en œuvre en sol gatinois.
«Même si on n'est pas d'accord avec certains éléments du jugement et qu'on a tenu à faire appel, on ne tolère d'aucune façon aucune forme de profilage et rien ne nous empêche, en faisant appel du jugement, de mettre en application immédiatement les recommandations de la juge», a fait savoir le maire Pedneaud-Jobin.
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a indiqué au Droit qu'elle «prend acte de la décision» et qu'elle représentera M. Nyembwe devant la Cour d'appel, comme elle l'a fait devant le Tribunal des droits de la personne. «Il n'y aura pas d'autre réaction à l'annonce du maire de Gatineau», a fait savoir Sébastien Otis, agent d'information à la Commission.
Critiques envers l'avocat de la Ville
La décision de la juge Lewis contenait de sévères critiques envers l'avocat représentant la Ville de Gatineau dans ce dossier. Elle dénonçait notamment qu'il ait adopté une attitude «de suspicion, de condescendance et de dénigrement» rappelant l'époque «où il était permis de questionner les victimes d’agression sexuelle sur 'la longueur de la jupe' qu’elles portaient».
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La directrice des services juridiques de la Ville, Me Marlène Painchaud, a fait savoir vendredi que les portions pertinentes des audiences ont été réécoutées et que l'avocat en question «a fait son travail». «On n'a vu aucun comportement qui justifie, à notre sens, le jugement très lourd, très sévère que la juge fait du travail qui a été fait par l'avocat», a-t-elle mentionné.
Cet élément fait toutefois partie des raisons ayant poussé la Ville à confier à une firme externe le mandat de déterminer si une demande d'appel devait être présentée. C'est cette firme gatinoise – RPGL Avocats – qui pilotera aussi le dossier di la Cour d'appel accepte d'entendre le dossier.