L’UOF : une mauvaise réponse à un vrai besoin?

CHRONIQUE / Il y a quelques jours, nous apprenions que l’Université de l’Ontario français (UOF) n’a reçu que 19 demandes d’admission pour l’année scolaire qui débutera en septembre 2021. Cette annonce m’a déçu, mais elle ne m’a pas étonné. En fait, je l’anticipais.


Il y a quelques années, j’ai mené une recherche auprès de 1040 élèves de 12e année inscrits dans 30 écoles secondaires de langue française dispersées sur tout le territoire de l’Ontario. Or, selon les données produites par cette recherche, une grande majorité des répondants de la région de Toronto et du sud de l’Ontario avait l’intention de poursuivre leurs études postsecondaires en anglais. 

Ce résultat n’a rien de surprenant. Car les élèves de la région de Toronto et du sud de l’Ontario se perçoivent davantage comme des anglophones que des francophones. Cela s’explique aisément, à l’école, à la maison et dans leur vie quotidienne, leur principale langue de communication, c’est l’anglais. 



De plus, les institutions postsecondaires anglophones de la région de Toronto exercent une forte attraction sur les élèves francophones de cette région. À cela s’ajoute le fait que l’Université Laurentienne et l’Université d’Ottawa jouissent d’une très bonne réputation auprès de la francophonie ontarienne. Chaque année, des milliers de diplômés des écoles secondaires de langue française de l’Ontario prennent la route en direction de Sudbury ou de la capitale fédérale afin de poursuivre leurs études. 

En somme, l’UOF arrivait dans un environnement déjà fort bien pourvu en ce qui regarde l’offre de programmes d’études postsecondaires. Et compte tenu des particularités sociologiques de la population francophone de cette région, la concurrence s’annonçait vive. 

Programmes «ésotériques»

Or, pour relever ce défi, l’UOF propose des programmes qui, du moins en apparence, frisent l’ésotérisme. En tant que professeur d’orientation scolaire et professionnelle, en prenant connaissance de l’offre de cours de l’UOF, je me suis : « ça n’intéressera pas grand monde ». 

J’étudie le processus du choix de programmes d’études postsecondaires chez les élèves ontariens depuis plus de 18 ans. J’ai conduit plusieurs recherches auprès de cette population. Après toutes ces années d’enseignement et de recherche, je sais une chose : la grande majorité des élèves, au terme de leurs études secondaires, vivent un lourd sentiment d’incertitude. Et, en toute logique, ils optent pour des programmes qu’ils connaissent un tant soit peu, question de se sécuriser. 

Or la proposition de l’UOF, de par son étrangeté, n’a rien d’attirant pour des jeunes qui sont plus à la recherche d’une certaine sécurité que d’une aventure. Car, ce qu’ils veulent au bout de leurs quatre années d’études, c’est un bon «job», payant en plus de cela. 



Un diplôme connu et reconnu s’avère donc, à tort ou à raison, une nécessité et c’est justement ce que l’UOF n’offre pas, du moins pas encore. De plus, compte tenu des coûts financiers relativement élevés qui sont associés aux études universitaires, l’aventure proposée par l’UOF s’avère un peu trop risquée. 

Démarche idéologique

À mon avis, l’UOF est le résultat d’une démarche essentiellement idéologique. L’on voulait une université « par les francophones et pour les francophones ». Je comprends très bien. Mais, pour atteindre cet objectif, une forte dose de pragmatisme aurait été plus efficace. 

Il aurait fallu procéder par étape : d’abord, création d’un centre d’études universitaires francophones géré par l’Université Laurentienne et l’Université d’Ottawa. Chacune de ces deux institutions aurait implanté certains de ses programmes: par exemple, l’ouverture d’une succursale de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Et puis dans quelques années, la conjugaison des efforts de ces deux universités aurait naturellement donné naissance à une université de langue française autonome à Toronto. 

Mais non, c’était trop simple. Il semble que nous n’ayons rien retenu de l’échec du Collège des Grands-Lacs.

L’auteur est André Samson, professeur titulaire à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa.