La réouverture des écoles, une bonne idée ?

La professeure au Département de l'éducation de l'Université du Québec en Outaouais, Mylène Leroux

Prolonger davantage la période de fermeture des écoles se serait-il avéré une bonne idée dans le contexte actuel, à la fois sur le plan purement pédagogique et social, mais aussi en matière de santé publique? Alors que le Québec rouvre ses écoles primaires dès lundi et que l'Ontario a aussi prévu ce scénario jusqu'à nouvel ordre, Le Droit a posé la question à deux experts.


La professeure au Département de l'éducation de l'Université du Québec en Outaouais (UQO), Mylène Leroux, qui dit d'emblée que le meilleur endroit pour les élèves s'avère leur classe puisqu'ils peuvent interagir avec leurs pairs et leur enseignant, affirme qu'il est cependant est difficile de ne pas nuancer son discours avec la situation épidémiologique actuelle. 

«C'est dur en terme éducatif de se substituer à ce moment-ci à la santé publique, car c'est elle qui décide et qui juge si les risques sont trop grands. Mais est-ce que c'est une bonne idée côté purement pédagogique? C'est clair que ce n'est pas l'idéal. Sauf que la santé publique prime, on n'a pas le choix de vivre avec ce qui se passe, même si ça créé beaucoup d'incertitude. Les données changent quasiment à la minute près. Il faut toujours essayer de trouver le meilleur équilibre entre retourner à l'école le plus vite possible et que ça ne représente pas un trop grand risque pour la santé», explique-t-elle.

Comme nous ne sommes jamais à l'abri d'une fermeture des écoles, Mme Leroux estime qu'au chapitre de l'apprentissage virtuel et de l'équipement technologique, le réseau est certes mieux préparé qu'il y a un an car le personnel, à qui elle «lève son chapeau», a vite dû s'adapter. Malgré tout, ça reste inégal d'un endroit à l'autre et il y a encore plusieurs lacunes, ajoute-t-elle.

Mme Leroux estime par ailleurs que, sous réserve d'une approbation des experts de santé publique, l'option des demi-classes en alternance sur les bancs d'école est une option intéressante dans le futur pour alléger la pression sur les parents, dépendant de l'évolution de la pandémie.

Côté pédagogie et évaluation des élèves, la professeure rappelle que l'année scolaire est atypique et qu'importe la suite des choses, il faudrait repenser certains éléments en raison du contexte exceptionnel.

«On parle d'un bulletin en janvier qui vaudra 50% de l'année, mais dans la situation actuelle, tout le monde fait son possible, alors il faut faire preuve de bienveillance et d'auto-compassion. Il faut être réaliste, c'est une évidence que les élèves ne pourront pas réaliser tous les apprentissages normalement attendus pour leur cycle. On doit prioriser certaines compétences, on doit réfléchir à ce qu'on veut prioriser d'ici la fin de l'année, surtout si elle est ponctuée par d'autres confinements. Pandémie ou pas, il y a des endroits dans le monde, par exemple la Finlande, où il n'y a pas d'évaluations ministérielles avant le secondaire. On pourrait y réfléchir. Est-ce nécessaire d'imposer cette pression-là aux enfants dès le primaire?», dit-elle.

Dr Hugues Loemba

«Un électrochoc» et plus sage d'attendre pour une réouverture

Pour le Dr Hugues Loemba, clinicien-chercheur, médecin de famille et virologue à l'Hôpital Montfort, la décision la plus logique et la plus sage aurait été de patienter encore avant de rouvrir les écoles.

«Je ne vois pas comment on peut retourner en classe de manière sécuritaire lundi prochain. Il aurait fallu attendre encore une, voire deux semaines supplémentaires. Je sais qu'il y a tout l'aspect de la santé mentale, mais il y a aussi la santé physique des enseignants, des parents et du reste des gens, car les enfants peuvent aussi ramener le virus à la maison. On essaie de jongler entre l'économie, la santé publique et la santé mentale, alors on tarde à prendre des décisions et plus on hésite, plus on donne des opportunités à ce virus de continuer à circuler», de dire celui qui est aussi professeur à la Faculté de médecine à l'Université d'Ottawa.

Le Dr Loemba précise que le portrait quotidien actuel du nombre de cas n'est pas encore «le visage des conséquences» des Fêtes, au moment où un sondage indique que 48% des Canadiens avouent avoir visité des proches ou des amis qui n'habitent pas à la même adresse.

«Il faudra attendre encore une semaine avant de voir les impacts, alors on aurait dû prolonger les fermetures (d'écoles) et réévaluer le tout à la mi-janvier, quand les chiffres seront plus constants. Malheureusement, la majorité va payer pour la minorité de gens qui ne suivent pas les consignes», lance-t-il. 

Selon ce dernier, nous en sommes arrivés à «un point tournant» dans la crise et l'imposition d'un couvre-feu, comme l'a fait le Québec, est une bonne idée même si elle aurait pu être mise en place avant Noël, selon lui. Il dit par ailleurs espérer que ce geste de la province voisine donnera des idées au gouvernement ontarien.

«Ça va donner le signal qu'il faut restreindre encore un peu plus. Il faut lancer un message fort à ceux qui contournent les règles, leur dire que cette fois-ci, c'est sérieux. Il y en a même qui sont encore réfractaires au port du masque. C'est un peu une sorte d'électrochoc pour essayer de redémarrer. À un moment donné, il faut sortir le gros bâton, on ne peut plus juste tendre la carotte», soutient le médecin.