Suspension d’une professeure à l’Université d’Ottawa: un débat qui divise

Le traitement réservé à une professeure de l’Université d’Ottawa qui a utilisé un mot blessant pour la communauté noire durant un cours divise autant les membres de cette communauté que le corps professoral de l’institution bilingue.


De nombreux membres de la communauté noire – notamment des étudiants – se sont prononcés au cours des derniers jours pour dénoncer la décision de la professeure d’histoire et de théorie de l’art Verushka Lieutenant-Duval de prononcer le mot «n**ger», en comparant la réappropriation du mot «queer» par la communauté gaie à celle de ce terme tabou par la communauté noire, aux États-Unis.

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L’auteur franco-ontarien Blaise Ndala s’inscrit en porte-à-faux contre ce mouvement de dénonciations de la professeure.



L’auteur franco-ontarien, Blaise Ndala

«Comme Noir, je me sentirais davantage insulté si un Ontarien blanc m’accueillait chez lui avec le sourire en disant: “Oh, vous êtes donc Blaise, le charmant Nom-commençant-par-N qui sort avec ma fille Megan?”, que si j’étais dans une conférence sur la négritude où un conférencier blanc disait: “De la Martinique au Sénégal en passant par Haïti, des Noirs ont pu se réapproprier le mot nègre, hier symbole d’insulte, pour en faire une ode à leur identité”», illustre M. Ndala.

L’auteur ajoute qu’il est «incontestable que […] le mot demeure suspect dans la bouche d’une personne blanche», mais qu’il faut considérer le contexte dans lequel il est utilisé avant de dénoncer l’individu qui le prononce.

Ce n’est pas ça le racisme.

Même son de cloche chez Lyse-Pascale Inamuco, une femme impliquée au sein de la communauté noire d’Ottawa.



«Ce n’est pas ça le racisme, soutient Mme Inamuco. Comment elle aurait dû dire ça? Le “mot tabou”? Il y en a plusieurs des mots tabous.»

Cette dernière estime qu’avant de suspendre Verushka Lieutenant-Duval, l’Université d’Ottawa aurait dû mener une enquête. Lyse-Pascale Inamuco dit toutefois comprendre la réaction de la direction de l’institution qui a dû craindre d’être invectivée dans un climat où «tout le monde veut sauter sur chaque occasion de crier au racisme».

«Ce que je dis à mes chers compatriotes, c’est qu’il faut qu’on arrête de réagir sur le coup des émotions. Il faut être plus stratégiques si on veut être bien entendus», ajoute Mme Inamuco.

Dissidence dans le corps professoral

Quatre professeures de sociologie et d’anthropologie de l’Université d’Ottawa ont quant à elles publié une pétition en ligne dans les dernières heures pour demander à la direction de l’institution d’indiquer clairement comment elle «va répondre aux critiques des universitaires et étudiant.e.s noir.e.s» et de fournir «des plans spécifiques pour confronter les normes anti-noires profondément ancrées dans les processus de “professionnalisation” et d’adaptation».

«Nous vous écrivons pour exprimer notre indignation face à l’utilisation par nos collègues de leur pouvoir et de leur privilège de contribuer aux structures de la suprématie blanche», écrivent les professeures Phyllis Rippey, Willow Scobie, Karine Vanthuyne et Mireille McLaughlin.



Dans une lettre ouverte qui accompagne la pétition, ces professeures entrent en contradiction directe avec 34 de leurs collègues qui ont dénoncé la semaine dernière la suspension de Verushka Lieutenant-Duval. 

«Indépendamment de la préoccupation concernant “la culture de l’annulation”, les “espaces sécuritaires” ou la “rectitude politique”, la prononciation du “mot-clé” n’a pas été rendue illégale. […] Cependant, étant donné la nature dialectique du racisme et de la suprématie blanche, il continuera d’y avoir des personnes qui s’opposeront à l’utilisation de ce mot et confronteront ceux et celles qui insisteront sur leur droit de l’utiliser», indiquent les quatre signataires de la pétition.

Ces employées de l’Université d’Ottawa ajoutent qu’à leur avis, leurs collègues confondent le concept de liberté académique à celui de la liberté d’expression. «La liberté académique est la récompense ultime du monde universitaire: nous pouvons étudier, faire des recherches et enseigner sur des sujets qui nous passionnent ou simplement nous intéressent, même si nos employeurs ne voient pas l’utilité de notre travail.»