Libertés surveillées

Verushka Lieutenant-Duval

OPINION / À titre de professeur.e.s de l’Université d’Ottawa, nous tenons à exprimer notre désaccord face au traitement réservé à la professeure Verushka Lieutenant-Duval par notre institution. Deux éléments nous semblent confondus dans cette malheureuse affaire : 1) le racisme sur le campus, les microagressions, la discrimination parfois inconsciente, mais quand même réelle dont sont victimes les minorités, et qu’il faut dénoncer; 2) le rôle de l’enseignement universitaire, des professeur.e.s et des salles de classe qui est de nourrir la réflexion, développer l’esprit critique, permettre à tous et à toutes, peu importe leur position, d’avoir le droit de parole.


Rappelons quelques principes fondamentaux de l’enseignement universitaire.

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Si tout.e professeur.e doit dans son enseignement se montrer sensible aux réalités des différent.e.s étudiant.e.s de sa classe, l’université demeure néanmoins un lieu de débats; un lieu, aussi, d’exploration des réalités de l’histoire, notamment de l’histoire des idées, plusieurs desquelles entreront en conflit avec la doxa du moment.

La salle de classe (physique ou virtuelle) ne peut devenir un lieu libéré du poids de l’histoire, des idées et de leurs représentations. Il est donc inévitable que certaines lectures, certains concepts, voire certains mots heurtent des susceptibilités. L’université est justement le lieu pour réfléchir à cette réalité, pour l’historiciser, pour s’affranchir scientifiquement de la tyrannie tant des majorités que du présentéisme.

Prenons l’exemple de Pierre Vallières, peut-être le plus inclusif des intellectuels indépendantistes avec Gérald Godin. Si ce grand essayiste écrivait aujourd’hui, après le questionnement collectif lié à l’appropriation culturelle, il choisirait sans doute un autre titre que Nègres blancs d’Amérique. En 1965, la question se posait différemment, et l’auteur choisit ce titre en hommage à Léopold Sédar Senghor, à Aimé Césaire, à Frantz Fanon et par solidarité avec les membres des Black Panthers qu’il côtoyait dans son emprisonnement américain. De même, Dany Laferrière conteste les stéréotypes dans son premier roman, dont le titre même, Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, est provocateur. N’est-ce pas le rôle de l’université de mettre ces réalités en perspective? D’enseigner ces œuvres et tant d’autres qui permettent de penser le monde? Cette mission fondamentale deviendrait pour le moins difficile dans un contexte de libertés universitaires surveillées, où une professeure se ferait (comme Catherine Russell de l’Université Concordia) retirer son cours pour avoir mentionné le seul titre de l’essai de Vallières (pour ne pas souligner le sort de la journaliste Wendy Mesley, suspendue par la CBC après avoir cité la traduction anglaise du même titre).

Enfin, il importe que les administrations universitaires, tout en participant à la mise au jour et à l’abolition de toute forme de racisme systémique, veillent à protéger la transmission des connaissances, le développement de l’esprit critique et la liberté universitaire, liberté qui peut parfois s’exercer au détriment du clientélisme, mais qui participe de toute forme de libération véritable.

Pierre Anctil, professeur titulaire

Denis Bachand, Professeur émérite

Joël Beddows, professeur agrégé

Nathalie Bélanger, professeure titulaire

Pierre Bélanger, professeur titulaire

Marc-François Bernier, professeur titulaire

Michel Bock, professeur agrégé

Louise Bouchard, professeure titulaire

Geneviève Boucher, professeure agrégée

Marc Brosseau, professeur titulaire

François Charbonneau, professeur agrégé

Nelson Charest, professeur agrégé

Christian Detellier, professeur émérite

Louise Frappier, professeure agrégée

Lison-Nathalie Gagnon, professeure à temps partiel

Anne Gilbert, professeure émérite

Florian Grandena, professeur agrégé

Lucie Hotte, professeure titulaire

Kasareka Kavwahirehi, professeur titulaire

Charles Le Blanc, professeur titulaire

José Lopez, professeur titulaire

Brunella Masciantonio, professeure à temps partiel

E.-Martin Meunier, professeur titulaire

Isaac Nahon-Serfaty, professeur agrégé

Kevin Orr, professeur titulaire

Anne-Marie Ouellet, professeure adjointe

Sylvie Paquerot, professeure agrégée

Jonathan Paquette, professeur titulaire

Maxime Prévost, professeur titulaire

Andrew Taylor, professeur titulaire

Geneviève Tellier, professeure titulaire

Marie-Claude Thifault, professeure titulaire

Christian Vandendorpe, professeur émérite

Stéphane Vibert, professeur titulaire