L’avenir du Campus Saint-Jean

Le Campus Saint-Jean fait partie de l’Université de l’Alberta.

CHRONIQUE / La francophonie canadienne fait encore les frais de décisions purement budgétaires. Cette fois, l’histoire se passe en Alberta, alors que les actions du gouvernement de Jason Kenney menacent la survie même du Campus Saint-Jean, l’une des très rares institutions universitaires francophones à l’ouest de l’Ontario. Le Campus fait partie de l’Université de l’Alberta. Il n’est donc pas entièrement indépendant, contrairement à l’Université Saint-Boniface ou à l’Université de l’Ontario français.


Avec l’élection de Jason Kenney, on se doutait que le milieu universitaire allait passer un mauvais moment. En campagne, le futur premier ministre avait clairement annoncé son intention d’assainir les finances. L’éducation postsecondaire utilisant près de 10 % du budget allait certainement devoir faire sa part. Une fois élu, le gouvernement albertain s’est empressé de créer une commission d’enquête pour lui faire des recommandations afin d’assainir les finances. La création de telles commissions est devenue une stratégie largement utilisée par les premiers ministres qui veulent faire des réductions budgétaires. Dalton McGuinty, Philippe Couillard et Doug Ford ont tous eu recours à cette tactique. On cherche ainsi à éviter d’être blâmé pour des mesures impopulaires : ce sont les experts qui les recommandent.

C’est ainsi que le gouvernement justifie les coupes qu’il a imposées aux universités : 20 % d’ici 3 ans. Pourtant, la commission n’a pas fait une telle recommandation. Elle a suggéré de trouver de nouvelles sources de revenus, de porter une attention toute particulière aux universités moins performantes et d’établir une vision stratégique pour l’ensemble du réseau postsecondaire. Ces recommandations ne semblent pas exagérées, surtout pour une province aux prises avec une chute drastique de ses revenus.

Par contre, le rapport de la commission n’a pas manqué de souligner que les dépenses postsecondaires par étudiant sont plus élevées en Alberta que dans d’autres provinces : 35 500 $, comparativement à 31 300 $ en Colombie-Britannique, 25 800 $ au Québec et 21 500 $ en Ontario. Mais ces comparaisons sont trompeuses ; elles défavorisent les plus petites communautés qui ne peuvent profiter des mêmes économies d’échelle que les plus grandes. Par exemple, l’entretien d’une salle de classe doit se faire peu importe si cette salle accueille 50, 200 ou 1000 étudiants par jour.

Les chiffres démontrent bien l’existence de ces économies d’échelle : c’est en Ontario, suivi du Québec, que les dépenses par étudiant sont les plus faibles. C’est aussi dans ces deux provinces que l’on retrouve les deux plus grandes villes et donc les plus grandes universités du pays.

C’est parce que les coûts de fonctionnement sont plus élevés qu’ailleurs que l’on a décidé de couper les budgets des universités albertaines. Étonnamment, le gouvernement n’a pas jugé bon d’analyser ces coûts en fonction des bénéfices qu’ils procurent. C’est pourtant la base d’une saine gestion. Si cela avait été fait, on aurait vu que le Campus Saint-Jean va bien : sa population étudiante est en croissance, ses programmes s’arriment très bien avec les besoins de la communauté, et l’institution est un acteur incontournable de la francophonie albertaine. Bref, selon les critères mêmes de la commission, le Campus Saint-Jean n’aurait pas dû être frappé par de sévères mesures de réduction des dépenses. 

Que faire maintenant ? Encore une fois, la communauté francophone canadienne doit se mobiliser afin d’expliquer aux décideurs et à la population les enjeux linguistiques pour les populations vivant en situation minoritaire. Mais cette mobilisation ne suffit plus. Il faut revendiquer une autonomie totale pour les institutions francophones canadiennes et donc pour le Campus Saint-Jean. Elles seules peuvent défendre leurs intérêts et expliquer les enjeux qui les touchent aux gouvernements. C’est la leçon apprise par les luttes menées pour l’hôpital Montfort et plus récemment pour la création de l’Université de l’Ontario français.

L’auteure est professeure titulaire à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa.