Il y a deux semaines, le ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, et son collègue Jean Boulet au ministère du Travail, annonçaient un programme de soutien financier d’environ 45 millions de dollars destiné à encourager les Québécois au chômage à mettre la main à la pâte dans les champs.
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Dans le cadre de la campagne Travailler à la ferme : J’y vais sur-le-champ !, les personnes qui travailleront dans les fermes à raison d’au moins 25 heures par semaine pourront toucher une allocation de 100 $. Le Programme incitatif pour la rétention des travailleurs essentiels offre déjà une prime de 100 $ par semaine aux travailleurs essentiels. Un Québécois sans emploi qui souhaiterait offrir ses services à une entreprise agricole pourrait donc y gagner le salaire minimum en plus d’un montant de 200 $ par semaine travaillée.
L’appel lancé par le gouvernement Legault a de toute évidence obtenu écho auprès du public, à voir les quantités de candidatures reçues aux quatre coins du Québec.
Dans la région, le Centre d’emploi agricole (CEA) de la Fédération de l’UPA de l’Outaouais-Laurentides confirmait au Droit avoir reçu, en date de jeudi après-midi, 643 candidatures, depuis le 17 avril. De ce nombre, 167 candidats ont évoqué le désir de travailler précisément en Outaouais.
Depuis le lancement de la plateforme, huit fermes de l’Outaouais ont sollicité l’aide du CEA pour combler des besoins de main-d’œuvre, toujours selon les données obtenues par Le Droit.
Des données à mettre en contexte
Si ces statistiques peuvent paraître impressionnantes, il faut toutefois les prendre avec un grain de sel, fait remarquer Frédérique Proulx, conseillère en ressources humaines et répondante en formation agricole au CEA régional.
« On regarde ces chiffres et c’est immense, mais quand on creuse, la plupart des participants, c’est monsieur et madame tout le monde qui se fait une idée de l’agriculture. Certains pensent par exemple qu’ils peuvent apporter leur chien avec eux dans le champ, ce qui n’est pas le cas. D’autres disent être disponibles de 15 h à 17 h, deux jours par semaine. Il y a beaucoup de cas particuliers avec des attentes différentes. [...] Il faut arrimer les besoins des producteurs avec les candidatures reçues. Au final, combien de participants seront placés, on ne le sait pas en ce moment », note Mme Proulx qui reconnaît malgré tout la portée importante de la campagne.
Parce qu’en plus des candidats qui passent par le guichet officiel du CEA pour dénicher un poste dans les champs, il y a ceux qui envoient leur curriculum vitae directement aux agriculteurs. Jim Thompson est copropriétaire de Notre petite ferme, à Lochaber-Ouest, entreprise spécialisée dans la production de légumes biologiques. Il dit avoir reçu plus d’une cinquantaine de curriculum vitae depuis deux semaines. C’est plus que le nombre qu’il avait reçu au total depuis janvier pour pourvoir son poste de gérant de champ. « Je dois recevoir entre six et sept CV par jour depuis l’annonce du gouvernement », précise-t-il.
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Des mesures qui ne font pas l’unanimité
Le hic, c’est que les postulants n’ont pas d’expérience en milieu agricole et qu’ils souhaitent travailler pour la plupart seulement 25 heures par semaine, ce qui est nettement insuffisant pour combler les besoins sur la ferme, souligne M. Thompson.
« Les fermiers ont besoin de personnes qui veulent travailler 50 heures par semaine et non 25 heures. Ce qu’on nous donne, ce sont des temps partiels. Si par exemple je suis censé avoir neuf travailleurs étrangers à temps plein sur ma terre, je ne vais pas former et gérer 18 travailleurs québécois. C’est illogique », mentionne l’agriculteur.
À la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique, qui regroupe quelque 300 entreprises agricoles au Québec dont 23 en Outaouais, on dénonce d’ailleurs les iniquités créées par les incitatifs financiers lancés par le gouvernement. La coopérative n’a pas hésité à interpeller le gouvernement et l’UPA sur la question, récemment, en envoyant notamment une lettre ouverte en début de semaine dernière.
L’intention du gouvernement est bonne, note l’organisme, mais le résultat, c’est que c’est toute l’échelle salariale qui se trouve déséquilibrée par ces incitatifs.
« Ça nous a été clairement dit, on ne peut pas ajuster à la baisse les salaires de nos gens qui gagnent déjà au-dessus du salaire minimum pour leur permettent de toucher les primes, ce qui leur permettrait de gagner plus cher que leur salaire normal cette saison-ci. Ce serait de la fraude donc on n’a pas de solution de rechange pour ramener l’équité dans nos équipes de travail », a déploré la présidente de la CAPÉ, Caroline Poirier, en entrevue avec Le Droit.
Selon la CAPÉ, en additionnant les primes de 100 $ chacune qui sont octroyées aux nouveaux travailleurs de salaire minimum qui débarquent dans les fermes de la province, les employés qui gagnent déjà entre 13,11 $ et 17,85 $ de l’heure dans les entreprises agricoles se retrouvent ainsi désavantagés face à cette main-d’œuvre temporaire non qualifiée qui empochent finalement une plus grosse paie qu’eux.