Puisque ces affirmations excluent i) l’ensemble du cycle de carbone d’une forêt, les émissions dues à la coupe et l’importance des sols dans une fixation durable et ii) la multitude des autres bienfaits qu’offre une forêt mature aux communautés humaines, animales et végétales, il est important qu’elles soient considérées comme fausses.
Les vieilles forêts agissent globalement comme un puit de carbone et celles localisées dans les régions tempérées et boréales de l’hémisphère Nord séquestrent encore des gigatonnes de carbone chaque année. Même âgées de plusieurs centaines d’années, les vieilles forêts accumulent du carbone de l’atmosphère dans le bois, la litière, et plus durablement, dans les couches plus profondes du sol. Or, la coupe de ces forêts risque momentanément d’inverser le processus. En plus, à la suite d’une coupe forestière, l’augmentation de la température au sol et la modification de la nappe phréatique perturbent l’activité microbienne et peuvent entraîner des émissions de CO2 et même de méthane (gaz à effet de serre 25 fois plus puissant que le CO2). Couper une forêt est une perturbation majeure qui affecte pour plusieurs décennies la disponibilité en eau et l’équilibre des nutriments du sol. Couper moins et mieux les forêts permettrait de conserver des sols plus productifs et rejoindrait les conclusions d’un récent rapport du GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, qui indique qu’une gestion plus durable des sols stimulerait la capacité de fixation de carbone des terres émergées et mitigerait significativement les émissions des GES.
D’un autre côté, dans le calcul du bilan en carbone d’une forêt coupée, il faut tenir compte du CO2 émis par la machinerie pour réaliser la coupe, de celui produit par le transport du bois et finalement de l’utilisation à long terme du bois récolté. Ainsi, si l’on devait couper nos vieilles forêts maintenant, l’ensemble des émissions dues à la coupe retarderait au minimum de 20 à 30 ans la capacité des jeunes forêts à être un puits de carbone. Pourtant selon le rapport spécial du GIEC de 2018, c’est justement dans la prochaine décennie que nous devrons significativement réduire nos émissions de GES afin de limiter l’ampleur des impacts climatiques.
Le bois est une ressource socialement et économiquement importante au Québec, avec des coûts environnementaux moins élevés que plusieurs autres matériaux. Pour cela, la coupe de bois doit rester une activité importante pour nos sociétés, mais elle doit être faite de manière durable, c’est à dire sur une superficie raisonnable et sans encontre au besoin de protéger la biodiversité et les sols.
Ouvrir les yeux
De plus, il est primordial de concevoir les forêts matures et vieillissantes comme des joyaux de biodiversité et comme des systèmes complexes offrant de nombreux bénéfices aux sociétés humaines. Leur rôle de fixatrice de carbone, d’habitat exceptionnel pour de nombreuses espèces animales et végétales ainsi que de régulateur des grands cycles de l’eau et du climat, n’est plus à démontrer. Selon nous, protéger les vieilles forêts et augmenter leur superficie serait donc une manière très efficace de lutter contre les changements climatiques. Leur fixation de CO2 pourrait même être comptabilisée dans le bilan de carbone québécois et canadien. En protégeant ces écosystèmes complexes, plus résilients, on s’assure également de conserver des capacités d’adaptation aux changements climatiques.
L’utilisation des forêts pour lutter contre les changements climatiques ne devrait donc pas passer par leur rajeunissement. Selon nous, la meilleure façon de lutter de façon durable contre l’augmentation des GES est :
- Investir massivement, temps et argent, afin de modifier notre consommation actuelle vers une diminution de nos émissions, d’abord, en augmentant l’utilisation du bois dans le secteur de la construction, mais particulièrement en décarbonant le secteur des transports;
- Augmenter la fixation de carbone grâce à la végétation en restaurant la fertilité des sols et en augmentant la superficie forestière, en verdissant nos villes et nos terrains abandonnés, en plantant des arbres dans nos cours d’école et le long de nos bandes riveraines dégradées;
- Diminuer nos interventions dans les forêts matures et vieillissantes afin qu’elles fournissent l’ensemble de leurs bénéfices et améliorer nos interventions dans les forêts déjà aménagées pour qu’elles soient mieux préparées aux changements climatiques et autres menaces telles les insectes et maladies exotiques;
- Accélérer le développement d’un protocole de certification du carbone forestier pour l’y inclure dans le marché du carbone du Québec. Ceci permettrait de stabiliser les prix du carbone forestier et d’éviter la fuite de capitaux québécois vers l’achat de crédits carbone hors Québec.
Nous espérons qu’il est maintenant clair qu’essayer de réduire les gaz à effet de serre en coupant d’avantage les forêts sera loin d’être « un geste positif dans la lutte aux changements climatiques ».
Les auteurs sont :
- Marie-Ève Roy, biologiste ;
- Sylvain Delagrange, professeur à l'UQO ;
- Jérôme Dupras, professeur à l'UQO ;
- Christian Messier, professeur à l'UQO et directeur scientifique de l'ISFORT ;
- Catherine Potvin, professeure à l'Université McGill.