Chronique|

La concurrence chinoise en IA

En 2017, le gouvernement chinois affirma son objectif de faire de son pays la première puissance mondiale en IA. Pour réaliser cet objectif ambitieux, Beijing s'est engagé à dépenser 200 milliards de dollars d'ici 2030, un engagement 15 fois plus élevé que celui du gouvernement fédéral américain.

ANALYSE / L’émergence de la Chine comme puissance en haute technologie s’est particulièrement manifestée récemment dans la saga entourant Huawei. Cette compagnie chinoise, deuxième producteur mondial en téléphonie, a pris le leadership dans le développement de la technologie à haute vitesse 5G. Cette avancée technologique est d’ailleurs une des principales raisons pour laquelle l’administration Trump porte autant d’attention à Huawei.


Mais la téléphonie n’est pas le seul domaine en haute technologie où nous assistons à une percée majeure de la Chine. L’intelligence artificielle (IA) représente un secteur encore plus important. D’ailleurs, Trump indiqua dans son énoncé de février 2019 sur l’IA comment il visait en priorité à contrer la percée de la Chine dans ce domaine.

En 2017, le gouvernement chinois affirma son objectif de faire de son pays la première puissance mondiale en IA. Pour réaliser cet objectif ambitieux, Beijing s’est engagé à dépenser 200 milliards de dollars, soit en moyenne 15 milliards par année, d’ici 2030. Cet engagement sans précédent est 15 fois plus élevé que celui du gouvernement fédéral américain.

Le plan chinois comporte trois phases. La première consiste à atteindre le développement réalisé en Occident d’ici 2020. La deuxième vise à réaliser des percées majeures d’ici 2025. Et finalement la troisième phase ambitionne tout simplement d’étonner le monde par le rayonnement technologique de la Chine.

La Chine s’est engagée dans la première phase avec un effort sans précédent pour maîtriser l’IA. Pour réaliser cette première phase, le gouvernement chinois a construit à Beijing un vaste parc technologique de 2,2 milliards de dollars. Ce parc abrite 400 entreprises liées au développement de l’IA et génère déjà des revenus annuels de 7,7 milliards de dollars. 

En investissant massivement dans le domaine, Beijing désire inciter les compagnies chinoises à promouvoir le développement de talents en IA. Cette stratégie vise à transformer les compagnies chinoises en chef de file dans la création et l’utilisation de l’IA.

La Chine entrevoit contrer le ralentissement de sa croissance économique en recourant à l’IA. Si cette dernière va entraîner inévitablement la suppression d’emplois dans certains secteurs, elle peut aussi, selon les experts chinois, rendre l’économie beaucoup plus performante en améliorant sa productivité et son efficacité. L’automatisation peut donc créer de la richesse. Aussi, au lieu de voir l’IA comme un adversaire qui fait perdre des emplois, les dirigeants chinois accueillent avec empressement sa venue.

Poursuivre le miracle chinois

Depuis 1980, le gouvernement chinois a misé sur sa main-d’œuvre à bon marché et le commerce extérieur pour assurer sa croissance économique. Ce pari lui a permis de développer son secteur manufacturier, de faire sortir de la misère des centaines de millions de Chinois, de devenir la deuxième puissance économique du monde et d’en être la première puissance commerciale.

Tournés vers l’avenir, les dirigeants chinois voient dans le développement de l’IA la clé de la croissance économique future de leur pays. En ce sens, Beijing a entamé un virage à 180 degrés. Cessant de compter sur la présence d’une large main-d’œuvre à bon marché, on mise dorénavant sur la haute technologie et l’automatisation comme moyens de contrer économiquement les États-Unis et de devenir la première puissance économique mondiale.

En recourant à l’IA et en misant sur une technologie de pointe, Beijing espère donc poursuivre le miracle économique chinois. En ce sens, les dirigeants chinois font un calcul exactement à l’opposé de beaucoup de dirigeants occidentaux. Le gouvernement chinois ne semble pas craindre les pertes d’emplois que l’IA va entraîner ni les inégalités de revenus que celle-ci risque de provoquer. Il croit que les bénéfices vont dépasser les inconvénients.

Alors que les pays occidentaux, y compris les États-Unis, tardent à recourir à l’IA dans les secteurs manufacturiers et dans les services, et à modifier leurs pratiques commerciales, les dirigeants chinois agissent avec un grand sentiment d’urgence. Le mot d’ordre partout en Chine consiste à se défaire de la réputation d’être à la remorque de la technologie occidentale. Pour ce faire, les entreprises chinoises sont prêtes à investir massivement dans la recherche et le développement en IA.

La Chine a démontré par le passé sa capacité de réaliser des visions surprenantes. En 2000, le gouvernement chinois annonçait sa volonté de construire un réseau ferroviaire à grande vitesse comme moyen de stimuler son développement technologique. Ce faisant, la Chine a non seulement amélioré son réseau de transport, mais elle s’est aussi doté du réseau ferroviaire le plus avancé du monde.

Pour réaliser ses objectifs dans le développement de l’IA, la Chine dispose de plusieurs avantages importants. Elle compte des millions d’ingénieurs et de scientifiques talentueux. Elle jouit d’énormes bases de données qu’elle a collectées et qui n’existent pas dans d’autres pays à cause des restrictions sur la collecte de données. Par exemple, elle a développé ainsi un système de reconnaissance faciale unique au monde.

La Chine ambitionne de dépasser les États-Unis sur le plan technologique d’ici 2030. Elle démontre qu’elle a la vision stratégique, la continuité en leadership et les ressources nécessaires pour le faire. Elle désire tout bonnement redevenir la pionnière mondiale de l’innovation, comme elle l’était il y a 1000 ans. 

Sans contredit, la Chine ne se limite plus à copier simplement l’Occident. La révolution de l’IA a peut-être débuté en Occident, mais la Chine veut montrer que c’est en Asie que son avenir se dessine.


Gilles Vandal est professeur émérite à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke.