Un grand besoin de technologie pour les personnes aveugles

Selon les données de la Fondation INCA, en 2018 seulement 48 % des personnes aveugles possèdent un téléphone intelligent et la grande majorité n’a pas les moyens de s’en procurer un.

L’inclusion sociale des personnes avec un handicap visuel est un problème qui ne date pas d’hier. S’ils ont toujours été sous-représentés sur le marché de l’emploi, voilà que la pénurie de main-d'oeuvre pousse les entreprises à considérer l’embauche d’employés en situation de handicap. Or, les conditions de travail et les ressources fournies à ces personnes pour leur intégration sur le marché du travail sont loin d’être suffisantes a constaté La Tribune en parlant à plusieurs intervenants dans le domaine.


Traditionnellement, les personnes aveugles accordaient des pianos, faisaient de la massothérapie ou fabriquaient des balais. En 2019, les choses ont bien changé. Les personnes avec un handicap visuel sont de plus en plus présentes dans plusieurs métiers, mais malheureusement, les ressources désuètes fournies par la RAMQ sont un frein important à cette transformation selon plusieurs intervenants rencontrés par La Tribune.

Dans l’ensemble du Canada, les adultes aveugles ou ayant une vision partielle ont un taux d’emploi à temps plein de 28 % selon un sondage réalisé par la Fondation INCA en 2018.

« Et ça ne regarde pas la qualité de l’emploi, souligne David Demers, directeur général de la Fondation INCA-Québec. Ce n’est pas très glorieux. C’est un handicap plus difficile à comprendre. Le fauteuil roulant est plus facile à expliquer. La situation est mauvaise et n’a pas vraiment changé depuis 100 ans. »

La Fondation INCA est un organisme sans but lucratif qui a pour objectif d’améliorer la qualité de vie des personnes aveugles. L’organisme a célébré ses 100 ans d’existence en 2018.

Des aides désuètes

Pour aider les personnes aveugles à s’intégrer et à obtenir un emploi, la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), qui applique le Règlement sur les aides visuelles du ministère de la Santé et des Services sociaux, fournit des aides visuelles. Ça peut être une loupe plus forte que ce qu’on retrouve à la pharmacie ou une télévisionneuse (qui permet d’agrandir un document, un journal ou un livre à l’aide d’un écran et d’une caméra). Pour les personnes complètement aveugles, ça peut être des logiciels de synthèse vocale. Ça peut aussi être un outil qui permet à une personne de photographier le courrier pour se le faire lire à voix haute. Ça peut être une monte parlante, un GPS parlant ou même une balance alimentaire qui parle pour cuisiner. Or ces aides sont bien souvent dépassées selon David Demers.

« On se retrouve avec des appareils qui datent de 10 ans, explique-t-il. Chaque année les appareils s’améliorent, deviennent plus précis et plus légers. Il y a la compatibilité avec Internet par exemple. Il y a des avancées dont on ne peut pas profiter, car la RAMQ ne fournit que de vieux modèles. Il y a aussi de nouvelles technologies grand public comme les téléphones intelligents qui incluent beaucoup d’outils qui sont fournis par la RAMQ, mais pour beaucoup moins cher. Par exemple, un GPS parlant ça coûte entre 1000 $ et 1500 $ alors que dans un téléphone, on peut avoir une application de GPS qui parle pour les personnes aveugles et c’est beaucoup moins cher. Certaines lunettes de réalité augmentée peuvent aider aussi. Le téléphone intelligent remplace 70 % des appareils qui sont déjà fournis. »

Un simple téléphone intelligent pourrait donc, selon M. Demers, améliorer de beaucoup la qualité de vie des personnes aveugles pour beaucoup moins d’argent. Mais selon les données d’INCA seulement 48 % des personnes aveugles possèdent un téléphone intelligent et la grande majorité n’a pas les moyens de s’en procurer un. Toujours selon INCA, 7 aveugles sur 10 font en deçà de 20 000 $ par année. De plus, un sondage mené par l’organisme auprès de 4000 de ses membres est catégorique.

« C’était presque unanime, lance M. Demers, tout le monde nous disait vouloir plus de technologie et leur mot à dire sur le type de technologie qu’ils peuvent utiliser. Ils veulent travailler, rêver et être ambitieux comme tout le monde. C’est un enjeu plus grand de participation sociale. »

Pour palier ce problème, la Fondation INCA a mis sur pied le programme Rendre l’appareil qui vise à récupérer les téléphones légèrement endommagés pour les redonner aux personnes aveugles qui en ont besoin.

« On va le faire tant et aussi longtemps que le gouvernement ne se rendra pas compte que c’est lui qui devrait les fournir », lance David Demers.

Le Ministère refuse de répondre aux questions

Le ministère de la Santé et des Services sociaux a décliné la demande d’entrevue faite par La Tribune pour parler des aides visuelles. Un porte-parole s’est contenté de faire parvenir quelques lignes par courriel.

« Le téléphone intelligent, bien qu’il puisse être d’une grande utilité pour les personnes présentant une déficience visuelle, est un outil grand public, et n’est donc pas considéré comme une aide aux fins de ce programme, peut-on lire dans le courriel. Il n’y a pas de démarche de refonte du Règlement sur les aides visuelles et les services afférents assurés prévue à court moyen terme. Le MSSS travaille présentement à la révision du programme d’appareils suppléants à une déficience physique et le programme d’aides auditives. »

De son côté la RAMQ explique qu’elle ne fait qu’appliquer le Règlement sur les aides visuelles et les services afférents du MSSS. Elle estime aussi que les longs délais (voir autre texte) sont du ressort des centres de réadaptation.

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Christine Rousseau

De trop longs délais

Outre la désuétude des aides visuelles (voir autre texte), les longs délais sont également problématiques lorsque vient le temps de faire affaire avec la RAMQ et les centres de réadaptation selon l’avocate Christine Rousseau qui a une basse vision depuis l’âge de 9 ans.

« Je peux comprendre qu’il y ait un processus en place, mais avec tous les délais dans les centres de réadaptation, c’est problématique, développe-t-elle. Ça peut prendre pratiquement un an avant qu’une personne qui vient d’être diagnostiquée avec une maladie de la vue ait un rendez-vous avec un spécialiste. »

Mme Rousseau dénonce les « mille et une procédures » par lesquelles les personnes avec un handicap visuel doivent passer même si elles connaissent leur besoin.

« J’avais besoin d’un moniteur pour mon laptop, donne-t-elle en exemple. Donc je fais ma demande. Et là on commence l’évaluation. On me demande si j’ai des amis, si j’ai de la difficulté à me raser les jambes. Je leur ai dit que ma réadaptation ne recommençait pas à zéro parce que j’avais déménagé. Mais il a fallu que je les rencontre et ils m’ont reposé encore les mêmes questions. Au final, on me dit que quelqu’un doit venir chez moi pour déterminer mon besoin. Il a fallu que je leur explique que l’écran que j’avais avant ne marchait plus, mais de toute façon je me l’étais acheté moi-même de ma poche. Du moment où j’ai fait la demande et j’ai reçu l’écran, ç’a pris sept ou huit mois. »

Elle estime que les ressources technologiques proposées par la RAMQ ne sont tout simplement pas suffisantes pour permettre aux personnes avec un handicap visuel de bien intégrer le marché du travail.

« Il a fallu que j’en paie en tabarnouche de ma poche et que mes parents en paient en masse de la technologie pour que je sois autonome pour étudier et ensuite être capable de pratiquer sur le marché du travail. Tu ne peux pas arriver devant un employeur et lui dire que s’il t’engage, il va devoir attendre pour que le centre de réadaptation vienne voir l’environnement de travail et qu’on commence à penser à adapter mon poste de travail. »

« Dès que tu n’es plus aux études et que tu te cherches un emploi, tu tombes dans un creux incroyable où tu dois convaincre un employeur d’attendre que le poste de travail soit adapté, indique Mme Rousseau. Ça peut aller jusqu’à six mois. »