Dave Jenniss: «C’est historique, ce qu’on vit»

Les qualificatifs ne manquent pas à Dave Jenniss pour désigner, à raison, l’importance de la création du Théâtre autochtone du CNA.

« Historique ». « Capital ». Les qualificatifs ne manquent pas à Dave Jenniss pour désigner, à raison, l’importance de la création du Théâtre autochtone du Centre national des arts (CNA).


Mardi, dans une ambiance à la fois électrisée et solennelle, la vitrine canadienne des arts de la scène a inauguré son nouveau volet, en lançant du même souffle le tout premier théâtre autochtone national au monde.

Dave Jenniss est auteur, comédien et scénariste. Impliqué auprès du théâtre montréalais Ondinnok depuis plus de 15 ans, il est maintenant directeur artistique de cette compagnie, la troisième plus vieille au pays réservée uniquement aux créations et aux créateurs autochtones, et la première à le faire en français.

« On a le potentiel, chez les acteurs, les auteurs, les créateurs, de mettre des histoires sur papier. Il y a longtemps que ça aurait dû être fait ! » s’est réjoui le dramaturge mi-québécois, mi-malécite, en marge du lancement.

Le théâtre écrit autochtone a pris son essor dans les années 70, détaille M. Jenniss. C’est en 1982 que Native Earth Performing Arts, la première compagnie, a été mise sur pied ; chez les francophones, Ondinnok a vu le jour en 1985. « Mais les danses, les masques, les cérémonies chamaniques… Ça, c’est une forme théâtrale en soi. C’étaient aussi toutes des histoires orales qui pouvaient durer des heures et des heures, expose-t-il. Donc ça existe depuis des millénaires ! »

Depuis environ dix ans, « il y a comme un regain » d’intérêt envers les réalités des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Le mouvement Idle no more les a mises sous les projecteurs, mais plus encore, « un bon coup, ça a été le rapport de la commission de Vérité et Réconciliation (finalisé en 2015), qui a ouvert beaucoup d’oreilles et d’yeux sur ce qui s’est passé au Canada », souligne M. Jenniss. Dans le monde des arts, « il y a comme une écoute qui est venue automatiquement avec ça. C’est comme si on s’était rendu compte qu’il y avait un art autochtone qui existait ! »

Du côté des institutions, un certain « retour du balancier » a commencé du même coup. De nouvelles sources de financement en arts ont été conçues depuis la publication du rapport. En 2018, par exemple, le Conseil des arts et des lettres du Québec a lancé son premier programme exclusif aux artistes et aux organismes autochtones.

Mais tout n’est pas réglé pour autant. L’accès aux scènes institutionnelles est un « éternel combat » pour les créateurs, ajoute Dave Jenniss. Par exemple, tout récemment, le dramaturge a appris que son nouveau texte La cendre de ses os allait être mis en scène dans un théâtre à Montréal. Mais il a fallu un an pour que l’on soit convaincu du potentiel de son scénario. « Il faut toujours être en train de prouver qu’on peut être au top », déplore-t-il, en soulignant l’importance d’un foyer permanent comme celui du CNA.

« On ne peut plus prendre ça au deuxième degré et se dire “c’est juste du théâtre autochtone”. Moi, j’ai toujours cru en ce que je faisais, et il y a du talent égal à n’importe quel autre théâtre. Mais on dirait qu’on porte sur nous l’obligation d’être meilleurs, parce que si on n’est pas meilleurs, ça vient justifier qu’on a peut-être trop d’argent pour ce qu’on fait… C’est un retour du balancier. On a longtemps été très, très en manque de subventions ; maintenant, je pense qu’on reçoit la juste part de ce qu’on n’a pas eu pendant des années. »

Théâtre autochtone 101

Les différences entre les pièces autochtones et allochtones : la proximité avec le public ainsi que les mélanges des disciplines, des langues, et des mythes avec des récits contemporains, présentés de façon à briser les stéréotypes. « C’est vraiment la vision que j’ai de ma compagnie, chez Ondinnok ». Et c’est ce que les spectateurs retrouveront dans Mokatek et l’étoile disparue, sa pièce mise en scène par Pier Rodier, au CNA les 13 et 14 septembre. Fusionnant le théâtre de marionnettes, d’objets, les chants et la musique, le spectacle — qui a reçu l’appui du Projet 3e Œil en début de parcours — raconte aux enfants le périple d’un garçon pour retracer l’étoile du Nord.

Globalement, tout et tous les acteurs impliqués ne doivent pas nécessairement être autochtones pour qu’une œuvre puisse porter cette étiquette, précise M. Jenniss. « Cette vision-là, je trouve qu’elle est un peu archaïque. C’était important à l’époque, mais maintenant, la vie change, comme nos visions d’artistes, rectifie-t-il. Ce qui fait la différence, c’est que c’est nous qui racontons nos propres histoires. Longtemps, on a «été» racontés par trop de gens qui n’étaient pas autochtones. »