Le MBAC expose le côté mythomane de Paul Gauguin avec «Gauguin. Portraits» [PHOTOS]

La commissaire invitée Cornelia Homburg et la conservatrice en chef Doris Couture-Rigert

Mythomane, Paul Gauguin ? À en croire ses portraits, c’est possible. L’exposition «Gauguin. Portraits», la toute première consacrée à cette facette du legs du célèbre peintre français, réunira dès le 24 mai au Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) près de 70 œuvres en provenance de plus de 40 collections à travers le monde. À partir d’une étude sur une sculpture, les recherches se sont penchées sur ce qu’était le portrait pour Gauguin : essentiellement, un véhicule pour perpétuer ses propres mythes.


En 1889 et 1890, Paul Gauguin avait sculpté un buste de son ami, le peintre Meijer de Haan, qui fut intégré à la collection du MBAC en 1968. En 2014, alors que la pièce allait être prêtée à d’autres établissements à Chicago et en Europe, le Département de conservation du Musée s’est intéressé aux techniques employées et aux matériaux qui constituaient réellement la sculpture.

Ce que l’on croyait être de la peinture à l’huile vernie d’une couche de cire s’est révélé être une tout autre chose – une détrempe, ancêtre de la peinture à l’huile qui combine différents pigments par d’autres liants, dont l’artiste a appliqué une seconde couche plus tard pour foncer et saturer la couleur. Et alors que Gauguin avait écrit à cette époque qu’il avait commandé du bois de tilleul, mou et facile à modeler, on a pu identifier l’état dans lequel se trouvait le tronçon poreux de chêne, un matériau dur et durable, qu’il avait utilisé.

Une salle complète de l’exposition sera dédiée uniquement à cette statue et détaillera ces découvertes. « C’est toute une révélation, se réjouit la conservatrice en chef Doris Couture-Rigert. Les sculptures que Gauguin a faites, personne n’a fait de grandes recherches là-dessus, alors que partout, on décrit ses œuvres comme du bois ou du tilleul polychrome. »

Mais voilà, le Meijer de Haan de chair était particulièrement chétif. D’à peine quatre pieds, huit pouces et bossu, l’homme ne dégageait pas exactement la même force brute que le bois de chêne qui le représentait dans des dimensions exacerbées, avec à la fois des détails très ressemblants et des éléments fantaisistes. « (Gauguin) pensait à une force créatrice, à l’idée de la créativité d’un artiste. C’est quelque chose qu’il voulait pour lui-même, mais qu’il a projeté sur Meijer de Haan, ajoute la commissaire invitée Cornelia Homburg. Toutes ces choses sont exprimées par cette manière de présenter la sculpture : il avait fait l’observation très précise de cet homme, en même temps d’avoir créé une œuvre d’art qui est très loin de sa vraie personnalité.

« C’est l’une des choses les plus importantes que l’on a comprises pendant nos recherches. Les autres portraitistes avant Gauguin voulaient représenter la personne et son statut social. Lui, pas du tout : il était plutôt dans la manière de créer et voulait exprimer ses idées sur la créativité, sur le monde, sur les religions, sur ses ambitions comme artiste. Et ça, c’est le fond des idées des portraits de Gauguin. »

+

À LA RENCONTRE DES MODÈLES

Simultanément aux études en laboratoire, Cornelia Homburg menait ses propres recherches sur l’histoire des portraits de Paul Gauguin et sur l’identité de ses modèles. Conclusion : « dans tous ses portraits, que ce soit des autoportraits ou des portraits des autres, c’était toujours Gauguin qui voulait nous parler de ses idées».

Par exemple, le Portrait de l’artiste au Christ Jaune le représente lui-même devant sa propre toile ainsi qu’une sculpture en poterie censée représenter son visage – essentiellement, il s’agit d’un autoportrait dans l’autoportrait. « Il se présentait comme un artiste qui souffre pour son art, comme dans L’Enfer de Dante. En se mettant devant le Christ qui souffre, c’est lui le martyre. Il pose devant ses propres œuvres pour montrer que c’est un vrai calvaire pour créer son art. »

La commissaire invitée Cornelia Homburg et la conservatrice en chef Doris Couture-Rigert

Nature morte au profil de Laval parle autant. Le tableau présente de profil son ami Charles Laval, avec qui il avait travaillé en Bretagne et fait ses premiers voyages en Martinique. Ce n’est pas le visiteur qui regarde Laval, précise la spécialiste de l’art du XIXe siècle : c’est Laval qui regarde une autre œuvre que Gauguin avait faite en s’inspirant de Paul Cézanne, son modèle. Le peintre exprime dans cette toile l’admiration de Charles Laval pour lui-même.

Noa Noa, le carnet de voyage qu’il a tenu lors de son premier séjour à Tahiti, serait aussi une œuvre d’autofiction. Son récit, a-t-on découvert, est en bonne partie inventé. Alors que l’auteur y racontait avoir partagé sa vie avec la jeune Tahitienne Teha’amana, on a longtemps cru que Les ancêtres de Tehamana représentait sa vahiné. Idem pour La boudeuse (Faaturuma). « Nous avons tout accepté ! » s’exclame Mme Homburg en précisant que l’artiste avait parfois recours à des photographies d’inconnus et des modèles passagers. « Il a créé cette histoire et tout le monde a fait des recherches approfondies avec ces faits, qui n’étaient pas vrais, ou qu’on ignore s’ils sont vrais. »

« C’est ça l’intérêt, la fascination du portrait de Gauguin : il joue avec l’imagination, avec les expériences, avec ce qu’il veut que nous sachions comme public à ce moment-là et dans sa postérité. Sa réputation était très importante pour lui. Et évidemment, il a gagné ! »