Les parenthèses du titre mettent en exergue un double sens destiné à ne rien cacher de la nature directe de Ghaminé, la quarantaine dynamique et la saillie franche.
Qu’elle se sente choquée ou allumée, les anecdotes qu’elle partage en stand-up la conduisent à révéler la vraie nature de ses émotions, confie-t-elle. Bien sûr, elle grossit le trait, pour le plaisir de l’autodérision... Reste qu’elle demeure en permanence «habitée par les émotions» qui la traversent lorsqu’elle se raconte. Ce spectacle, «c’est un peu une thérapie. C’est très “moment présent”. Mes impressions et mes émotions sont à l’état brut. [Sur scène comme dans la vie], je ne mets pas de gants blancs et, parfois, ça peut sortir brutalement», reconnaît-elle en toute franchise.
Et en assumant cette douceur parfois équivalente à la «subtilité d’un 18-roues» : «Je suis vraiment intense dans la vie, et ça a parfois l’air de déranger du monde. [...] Des fois, je peux être vraiment pas fine. Je peux aussi avoir l’air très intelligente et très conne, dans la même journée.»
Mélanie Ghanimé étant «très perfectionniste» dans tout ce qu’elle entreprend, elle a énormément travaillé ses gags et le rythme de la livraison. Mais une vérité demeure : «la spontanéité est un terrain de jeu que j’aime beaucoup».
Et elle tire un plaisir assumé à montrer au grand jour «les opposés» qu’elle porte en elle. Ces paradoxes se retrouvent tant dans les situations qu’elle évoque, mais aussi «dans les nuances de jeu», nous éclaire-t-elle.
Issue de l’École nationale de l’humour en 2009, cette ancienne professionnelle de la pub et des communications n’est pas tout à fait une nouvelle venue en humour, même si elle fait partie de la nouvelle génération. Deux numéros, L’épilation au laser et L’incompétence, se sont retrouvés finalistes des deux derniers galas Les Olivier, où elle était aussi mise en nomination à titre de Découverte de l’année.
Elle anime régulièrement les soirées du Bordel Comedie Club, mais demeure surtout connue des téléphages, qui ont pu la découvrir dans Direct dans l’net (à Ztélé), au côté de PA Methot et Dominic Paquet; à TVA, quand Patrick Groulx l’a invitée à participer à Dans ma tête, ou encore dans la websérie Adrienne, mettant en vedette Mathieu Cyr.
Son spectacle lui permet de se poser des questions existentielles, à commencer par se demander quelle est sa «valeur en tant que fille», notamment vis-à-vis du traitement salarial, au sein d’une société qui, quoique moderne, continue de véhiculer les inégalités de genre, à grands renforts «de petits codes cachés».
Elle note que les étiquettes et les perceptions n’évoluent pas vite, que «la société continue d’encourager les garçons à devenir des p’tits gars courageux», tandis qu’on renvoie aux filles l’image qu’elles sont ou méritent d’être «des princesses».
Elle concède qu’il est délicat de chercher à être drôle et songé en même temps. «Au début du rodage, je trouvais que c’était une question lourde. Ç’a été ardu, mais on a fini par trouver l’essence de ce questionnement», pour mieux en dégager la substantifique moelle comique.
Germaine frustrée
Son personnage scénique — pas très différent de la véritable Mélanie Ghanimé, avoue-t-elle — est celui d’une femme un peu «Germaine, qui essaie d’être contrôlante, mais qui ne contrôle absolument rien. Je suis fâchée contre mes propres combats que je ne suis jamais capable de gagner, mes échecs».
Si elle se frustre, c’est qu’à la base, l’objectif, pour elle, «comme pour beaucoup de gens, c’est d’évoluer dans mes apprentissages», dans la perspective de devenir «une meilleure personne».
En retraçant le chemin accidenté de ces apprentissages, elle fait preuve d’«une brutalité honnête». «Je suis reconnue pour être authentique. C’est ma force.» Et sa «couleur» humoristique vient justement de «la vulnérabilité» qu’elle laisse transparaître en filigrane.
Sujets glissants
Sur scène, l’humoriste s’emporte régulièrement. Aborde des sujets glissants. Sacre parfois. «J’inviterais pas les enfants : c’est assez cru — pas vulgaire, mais je dis les vraies choses.» Et ce n’est «jamais gratuit, mais au service de l’histoire que je raconte», précise-t-elle.
«Je parle de sexe et de célibat et de pornographie», illustre-t-elle. Ce dernier sujet, elle l’aborde sous l’angle de sa propre consommation : «Je ne fais pas de cachette — à quoi ça sert de faire semblant, tout le monde en regarde? Il n’y a pas d’autocensure, ou très peu, mais il n’y a rien de choquant dans ma manière d’amener les choses.»
Ce qui lui sert de moteur à ses numéros, ce sont «les comportements humains». «Ça me fascine, j’essaie de comprendre les liens [qu’on tisse les uns aux autres]. Du coup, je juge beaucoup les gens. Et je me juge moi-même. Gratuitement.»
Si le sens de la vie, c’est de grandir et d’évoluer, il est important de «reconnaître la différence et se reconnaître, soi», partage-t-elle. «Mais pour cela, il faut d’abord reconnaître ce qu’on a de laid à l’intérieur de nous.»
Son spectacle «commence de façon légère», en décortiquant «les jugements de base», aux conséquences bénignes. «Puis après, on creuse plus en profondeur», à mesure qu’elle confronte le jugement et le sarcasme à des sujets plus sensibles : son vieillissement, ses blessures, un drame survenu lorsqu’elle n’était qu’une fillette, ou encore à la perception qu’elle a d’elle-même, en tant que femme.
«J’ai déjà hâte de voir comment j’aborderai le prochain show, parce que là, c’est très, très personnel...»
Produite par La Tribu, le spectacle a bénéficié de la collaboration de Nicolas Boucher à la mise en scène et à la script-édition. Mélanie Ghanimé a aussi été épaulée par Jonathan Lord, Odrée Rousseau et Pierre Folia à l’écriture. L’humoriste montera sur la scène du Cabaret des Amants de Saint-Georges le 22 février et du Théâtre Petit Champlain le lendemain.
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LA MATURITÉ POUR ASSUMER SA VULNÉRABILITÉ
Mélanie Ghanimé met tout son cœur dans les histoires qu’elle raconte à son public. Et cette irrépressible franchise de son personnage scénique la rend, finalement, très vulnérable, dit-elle.
«Je n’aurais pas pu faire BRUT(e) avant; je n’avais pas assez confiance en moi. Au début, c’est gênant d’être vulnérable devant du monde.» Lors de ses premiers pas sur scène, dans les «petits bars», elle «angoissait». Face à la foule, elle pensait : «Je ne peux pas croire que je suis en train de dire ça aux gens...»
Par chance, à l’heure de l’instantané et des réseaux sociaux, «les gens t’écrivent pour te remercier d’avoir parlé de choses qu’ils vivent aussi». C’est ce sentiment de connivence qui lui a permis d’apprivoiser lentement sa vulnérabilité, qu’elle assume totalement, aujourd’hui.