Le chemin transgressif du Goupil

Le goupil, d’Éric Mathieu, met en scène un enfant qui a du mal à s’intégrer à la société.

L’auteur ottavien Éric Mathieu – qui s’était fait remarquer en 2017 lors de la parution des Suicidés d’Eau-Claire, actuellement finaliste au prix littéraire Le Droit, catégorie Fiction – arrivera au Salon du livre de l’Outaouais (SLO) avec un tout nouveau roman, Le goupil.


Paru le 6 février dernier, il met en scène l’enfance d’Émile, 8 ans, un gamin négligé par ses parents, effarouchés par sa laideur et sa parfaite maîtrise de la langue. Le récit a pour cadre un petit village de Lorraine, dans la France de l’après-guerre.

« C’est un livre où il y a beaucoup d’ironie » et tout « un jeu avec le langage », sourit l’auteur qui enseigne la linguistique à l’Université d’ottawa.



Tant dans la forme que sur le fond, « j’ai beaucoup joué avec la forme. Et travaillé sur l’inversion », poursuit Éric Mathieu. « C’est un peu le parti-pris inverse des livres sur l’enfance » à l’heure de la transition vers l’âge adulte, dit-il en citant La vie devant soi de Romain Gary, Vipère au poing d’Hervé Bazin et quelques autres titres baignant dans les mêmes eaux.

C’est pourquoi son narrateur, Émile, plutôt que de recourir au langage rudimentaire de l’enfance, s’exprime au passé simple, usant même de quelques imparfaits du subjonctif, déclinaisons surannées que les auteurs désireux de s’inscrire dans la modernité proscrivent habituellement. « S’il utilise ce style [précieux], c’est un peu pour s’élever au-dessus de sa classe sociale » et de la médiocrité qu’il perçoit autour de lui, évoque Éric Mathieu.

Comme dans son premier roman, des éléments propres aux rêves se superposent régulièrement à la trame essentiellement réaliste du roman.

« J’aime entrecouper ça d’éléments oniriques, je trouve que c’est là qu’on peut aller vers l’essence des [personnages] et des individus. » Et puis, ne plus chercher à astreindre une scène au « vrai », voilà qui « libère l’écrivain, qui peut alors jouer avec la forme, le style et le rythme, et faire des choses plus poussées ».



Mais la société, ses enjeux dans les interactions humaines intéressent trop Éric Mathieu pour qu’il se laisse basculer dans le surréalisme. « Je préfère parler de transfiction, de mélange des genres », explique celui qui, dans Le Goupil, alterne entre les « scènes assez réalistes, d’autres qui sont comme des poèmes, et d’autres [axées sur] les dialogues, comme dans une narration classique », au fil de courts chapitres allant d’une simple phrase à une poignée de pages.

Loin d’être aussi glauque que Les Suicidés, Le Goupil affiche néanmoins « un côté assez noir », en multipliant notamment les « thèmes transgressifs ». « On a un narrateur attiré par des choses un peu étranges et qui va se faire récupérer par un magicien alcoolique et un peu trouble. Ce qui l’intéresse vis-à-vis de la sexualité est borderline [...] et il y a des scènes un petit peu cruelles, parce que [son entourage] le considère un peu comme un animal. »

C’est donc l’histoire d’un individu qui cherche sa place dans un cadre qui semble ne pas vouloir pas de son existence. « Un peu comme les personnages de mon premier roman, qui ne parvenaient pas à trouver leur place dans la société, Émile a du mal à s’intégrer dans le monde », indique l’auteur.

« Mais même si personne ne semble l’accepter, Émile a le mérite de continuer à avancer, d’essayer de changer, pour se détacher de toutes ces choses noires », poursuit Éric Mathieu. La quête d’Émile est donc essentiellement rédemptrice : il doit apprendre à « se réconcilier avec lui-même pour aspirer à une vie normale et trouver un métier ». D’ailleurs, dans la dernière partie du livre, quand il s’approche de l’âge adulte, « Émile va s’apercevoir qu’il n’est pas du tout fait pour le langage, contrairement à ce qu’il croyait. En fait, il est plutôt manuel. » Et le « côté magique disparaît à mesure qu’Émile “entre” dans le monde ».

Si Émile renvoie à la figure du trickster des cultures amérindiennes autant qu’au Tambour de Günter Grass, le personnage est surtout, pour Éric Mathieu, un précieux réceptacle où se mélangent et se confondent des éléments intimes puisés dans le vécu de l’auteur, un français d’origine, et celui de son propre père. « Il y a beaucoup de choses qui semblent surréalistes, mais qui sont vraies », dit-il en évoquant cette scène où un corbeau atterrit tout proche d’Émile, juste au moment où il s’apprête à embrasser une demoiselle : « C’est arrivé à mes parents, lors de leur premier baiser. »

Dans le cadre du SLO, un entretien entre Éric Mathieu et l’animateur Hugues Beaudoin-Dumouchel est prévu à L’apostrophe le 4 mars à 12 h.

EN SIGNATURE AU SLO

Quand ?  2 mars de 18 h à 19 h ; 3 mars de 10 h à 11 h, de 15 h à 16 h et de 17 h à 18 h ; 4 mars de 10 h à 11 h et de 14 h 30 à 15 h 30

Où ? Stand nº 133 (éditions La Mèche)