Internet sous surveillance

Les Comcast, Verizon et AT&T ont maintenant la permission de favoriser certains sites, d’exiger plus cher pour visiter ceux de leurs concurrents, voire carrément de les bloquer ! Plus de Netflix ou de Facebook à moins de payer 1 $ de plus par mois ! La capacité était là, maintenant le gouvernement de Donald Trump leur permet de le faire à leur guise.

ÉDITORIAL / L’expression « neutralité du net » est si désincarnée, si nébuleuse que le débat public sur Internet ne mènera nulle part. Il ne subsiste qu’une apparence, celle des gens qui sont en faveur des réglementations, et les républicains qui s’y opposent au nom du libre-marché. D’ailleurs, la FCC américaine — l’équivalent du CRTC au Canada — a voté 3-2 pour libérer Internet de toute barrière administrative, jeudi, selon des lignes partisanes prévisibles : deux démocrates pour le maintien des verrous, trois républicains pour la libéralisation.


La population des États-Unis a assisté à l’annonce sans trop savoir ce qu’il en retournera. Elle a toutes les capacités de comprendre, les Américains ne sont pas moins futés que les autres, mais la discussion est mal engagée et les conséquences ne se verront pas à court terme. Ceux qui pourraient profiter de la déréglementation ne sont pas assez inconséquents pour rapidement se jeter dans le coffre-fort pour y piger les dollars. Ils attendront un peu et au moment où l’on s’y attendra le moins, hop !, tout sera fini et en toute légalité en plus !

Pour démystifier le sens de la « neutralité du net », une analogie simple est à portée de tous. 

Imaginez le réseau d’autoroutes. Dans votre véhicule, vous avez accès à toutes les voies rapides comme bon vous semble. C’est l’Internet aujourd’hui où tous les internautes voyagent à leur gré sans se soucier de l’itinéraire : l’important est la destination, l’objet de son intérêt. Cela peut être de consulter son profil Facebook, de faire une recherche, de magasiner sur des sites de commerces, ou de regarder des vidéos de chats, etc. Que les Américains soient abonnés au fournisseur Comcast, Verizon ou AT&T importe peu. De là la référence à la « neutralité » : le même contenu apparaît chaque fois, facile, rapide et accessible. Au Canada, leurs équivalents sont Bell, Vidéotron, Rogers, Shaw, etc. Dans les deux pays, plusieurs petits fournisseurs complètent le portrait.

Ce que les internautes savent moins, c’est que les fournisseurs d’accès Internet ont les capacités de réguler le passage. Comme si on interdisait à tous les véhicules bleus d’accéder à certaines autoroutes (pire, ils ne les verraient même pas). Ou qu’on limitait leur vitesse à 60 km/h alors que d’autres filent à 100. Devant son ordinateur, son téléphone intelligent ou sa tablette, le citoyen tente d’accéder à ses sites préférés... et ça ne fonctionne pas. Ou très lentement. Les vidéos stoppent constamment. 

Les Comcast, Verizon et AT&T ont maintenant la permission de favoriser certains sites, d’exiger plus cher pour visiter ceux de leurs concurrents, voire carrément de les bloquer ! Plus de Netflix ou de Facebook à moins de payer 1 $ de plus par mois ! La capacité était là, maintenant le gouvernement de Donald Trump leur permet de le faire à leur guise.

Les Américains optent souvent pour la déréglementation, c’est leur admiration d’un capitalisme qui récompense les meilleurs et punit les plus faibles. Ils vivront avec les conséquences de leurs décisions. Le Canada, par contre, doit éviter à tout prix d’emprunter ce chemin. Ce n’est pas évoqué clairement encore, mais un jour, Bell pourrait ralentir l’accès au site Internet du Toronto Star, par exemple, pour pousser les lecteurs vers le Globe & Mail, qu’il possède en partie. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le CRTC, n’a émis aucun indice d’un virage comme celui qui s’imprime aux États-Unis. C’est encore de la politique-fiction au nord du 49e parallèle. Cela doit rester ainsi.