Quêtes identitaires d’une génération qui transcende les frontières

Niviaq Korneliussen sera au Québec du 17 au 24 novembre pour prendre part au Salon du livre de Montréal et donner une conférence à l’UQAM.

Niviaq Korneliussen a beau être issue d’un peuple porteur d’une tradition orale, c’est par l’écrit que l’Inuite du Groenland a choisi de s’exprimer. De s’écrier haut et fort. D’écrire le roman auquel la femme de 27 ans n’avait pas eu accès pour comprendre qui elle est. À travers les cinq personnages d’Homo sapienne, l’auteure dépeint sans fard les nombreuses quêtes identitaires de sa génération, entre orientations sexuelles, alcoolisme, abus physiques et héritage politique à assumer. Entrevue avec cette nouvelle «étoile du Nord» autour d’un premier roman résolument moderne, cru et vrai, qui continue de faire couler beaucoup d’encre au Groenland et au Danemark, qui sera bientôt traduit dans près d’une dizaine d’autres pays (en plus d’ici), et qui fait également écho à plusieurs réalités des Premiers Peuples canadiens.


«Nous vivons dans une société passablement divisée quant à ce qui nous définit en tant que Groenlandais. Plusieurs veulent devenir indépendants du Danemark, sous prétexte que tout ce qui va mal chez nous est la faute du gouvernement danois : nos enfants qui ne mangent pas à leur faim, les problèmes d’alcoolisme, de violence et d’abus sexuels dans nos communautés… Mais c’est nous qui sommes responsables de tout ça, personne d’autre!» clame Niviaq Korneliussen, jointe par Skype, cette semaine.

«Nous sommes responsables de notre propre sort!» renchérit-elle, d’un ton ferme et sans équivoque.

«Cesse de t’apitoyer comme ça sur toi-même, tu n’es pas à plaindre. Enough of that postcolonial piece of shit», fait d’ailleurs valoir Inuk à son amie Arnaq, dans Homo sapienne.

«Les Groenlandais n’ont pas l’habitude de s’auto-critiquer, et je sais que mon roman n’a rien de politically correct, confirme l’auteure. Je considère toutefois important que des jeunes comme moi prennent la parole pour faire entendre des points de vue différents, voire divergents, des opinions qu’on présume être celles de la majorité.»

Écrire devenait dès lors un acte délibéré : «Je souhaitais provoquer le dialogue de cette façon, par la littérature, qui n’est pas le genre qui intéresse le plus mes compatriotes, mais qui exige de prendre du temps, de s’arrêter pour réfléchir.»

Niviaq Korneliussen, qui sera au Québec du 17 au 24 novembre, prendra part au Salon du livre de Montréal et donnera une conférence à l’UQAM, a justement «très hâte» de constater à quel point son roman reflète par la bande ce que vivent ses contemporains des Premières Nations au Canada.

Marier langues et formes d’écriture

À l’instar de la version originale qui marie les langues (groenlandais et anglais) pour bien témoigner de la culture dans laquelle le roman s’inscrit, la traduction proposée par l’éditeur québécois La Peuplade (qui a acquis les droits français pour le monde entier) préserve cette dualité linguistique en jouant du français et de l’anglais.

«Le choix des langues est un élément essentiel pour rendre compte du contexte sociopolitique dans lequel j’évolue et, du coup, évoluent mes personnages. Ça joue pour beaucoup dans ma manière d’exprimer qui nous sommes, puisque plusieurs d’entre nous ne parlent même pas notre langue. Ç’a donc aussi une incidence sur comment nous percevons les choses et sur la façon qu’ont les lecteurs de réagir à mes propos», soutient celle qui a elle-même traduit son roman en danois et anglais, pour la version publiée au Danemark.

Il y a aussi les formes d’expression qu’elle multiplie : journal intime, textos, lettres, etc. Elles renvoient à une génération branchée pouvant néanmoins se sentir isolée ou se replier sur soi, par la matérialité concrète de son insularité.

«J’ai grandi sur une petite île au sud du Groenland, au sein d’une communauté de 1500 personnes dont j’ai éprouvé le besoin de sortir, à l’adolescence. En même temps, devoir côtoyer des gens différents a forgé ma personnalité et m’a appris à ne pas juger les autres.»

«Une chose est certaine, pour moi, cependant : nous ne pouvons pas vivre repliés sur nous. Nous devons nous ouvrir aux autres, au lieu de nous diviser.»

Niviaq Korneliussen est toutefois consciente d’avoir eu «le privilège» de voyager à l’étranger et d’avoir pu bénéficier d’un programme d’échange qui lui a permis, à 18 ans, d’aller étudier en Californie. Alors ambivalente sur son orientation sexuelle, elle croyait «pouvoir explorer [s]a sexualité plus librement», loin de chez elle. 

Elle a toutefois été hébergée par une famille d’accueil généreuse, certes, mais «plutôt conservatrice». «Résultat : c’est à mon retour sur ma petite île que je suis sortie du placard!» raconte-t-elle en rigolant.

La vingtenaire queer n’avait pas, a priori, l’intention de mettre en scène des personnages gais dans son roman. «Mais je le suis, alors ça m’a seulement paru plus vrai, plus naturel, de partir de mes questionnements intimes, de ceux de mes amis et proches, pour englober d’autres enjeux sociaux et politiques. Parce qu’à la base, peu importe qui nous sommes, nous demeurons tous des êtres cherchant non seulement notre place dans le monde, mais également comment nous aimer afin de parvenir à développer des relations amoureuses saines et épanouissantes», conclut-elle.