Le Togo: autopsie d’une dictature oubliée

Des manifestations se poursuivent au Togo depuis le mois d'août.

Les manifestations politiques du peuple du Togo qui se poursuivent depuis le mois d’août n’ont guère fait les manchettes au Québec. Elles sont violemment réprimées par les forces de l’ordre au service d’une dictature dynastique implacable vieille de 50 ans soutenue par une armée familiale, clanique, tribale et prétorienne.


La communauté internationale y semble également complaisante ou indifférente. Le regroupement des partis d’opposition et les populations des villes et villages réclament le retour à l’ordre constitutionnel de 1992 qui limite le président à deux mandats de cinq ans, la démission du président Faure Gnassingbé fils (qui en est à son troisième mandat) et la fin du despotisme.

Chronologie d’une dictature dynastique. Le 13 janvier 1963, à peine trois ans après l’indépendance du Togo le 27 avril 1960, les militaires togolais, de la guerre d’Indochine et d’Algérie démobilisés par la France, font un coup d’État. C’est le premier dans cette Afrique qui vient de retrouver son indépendance. Dirigée par un certain sergent Étienne Gnassingbé Eyadema, la révolte se solde par l’assassinat de Sylvanus Olympio, premier président démocratiquement élu. 

En 1967, le gouvernement civil en exercice depuis le coup d’État est à son tour renversé par des militaires commandés par ce même Eyadema, devenu général entretemps. Il gouvernera le Togo en autocrate absolu pendant 38 ans (1967-2005) en s’appuyant sur l’armée et un parti unique, le Rassemblement du peuple togolais. 

À la faveur du vent de la démocratie qui a soufflé sur l’Afrique dans les années 1990, une Conférence nationale souveraine débouche en 1991 sur la formation d’un gouvernement de transition pour la démocratisation. Celui là sera une fois de plus renversé par Eyadema qui restitue la dictature. À sa mort le 5 février 2005, l’armée fomente de nouveau un double coup d’état militaire et constitutionnel qui permet à Faure Gnassingbé (fils) de succéder à son père.

La dictature au Togo est jalonnée de violences militaires, d’atrocités, d’assassinats, violation des droits et libertés de la personne, de crimes. Au cours des années 1980. on a assisté aux assassinats et aux exécutions sommaires des officiers républicains. Les crimes ont atteint leur paroxysme dans la décennie 1990-2000. Le pouvoir répond par des répressions féroces les soulèvements populaires et les grèves, qui font de nombreux blessés et des morts. En décembre, une prise d’assaut de l’édifice où siège le premier du gouvernement de transition vers la démocratie fait 300 morts. En 1992, le chef de l’opposition Gilchrist Olympio, fils du premier président du Togo assassiné, sortira indemne gravement blessé d’un attentat contre son convoi électoral. En janvier 1993, des éléments de la garde présidentielle envahissent certains quartiers populaires de Lomé, la capitale, et tirent sur leurs concitoyens. À la suite de ces actes, on a assisté à l’exode massive de la population vers le Bénin et le Ghana. Le Haut-commissariat a estimé à 500 000 personnes qui ont trouvé plus tard refuge non seulement en Afrique, mais aussi en France, en Allemagne, au Canada et aux États-Unis.

En 2005, après des élections frauduleuses et violentes qui ont fait plus de 500 morts, Faure Gnassingbé fils, accède au pouvoir et se fera réélire en 2010 et 2015. Aux manifestations massives du peuple togolais de l’intérieur et de la diaspora en faveur de la constitution de 1992, le gouvernement répond par un projet qui lui permettrait de revenir au pouvoir en 2020 et 2025. Allant à l’encontre de la volonté populaire et de l’opposition, l’Union africaine (UA), la Communauté économique des états d’Afrique (présidée par Faure Gnassingbé) et le bureau de l’ONU pour Afrique subsaharienne donnent leur aval à ce projet. Le père a régné pendant 38 ans et le fils s’aligne pour 20 ans. Une seule famille aura dirigé le pays pendant plus d’un demi-siècle!

Certes, des facteurs internes déterminent la pérennité d’une dictature dans un pays. Mais l’histoire montre que les facteurs externes y jouent aussi un rôle non moins important. Dans le cas particulier du Togo, Jacques Foccart ou « Monsieur Afrique » directeur de la « cellule africaine » au palais de l’Élysée, dès le début de la Ve République française, a reconnu avant sa mort en 1997 l’implication de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) dans tous les coup d’États militaires perpétrés sur le territoire togolais et elle continue jusqu’ici. 

Quoi qu’on fasse et quoi qu’on dise, la fin de la dictature au Togo demeure liée à la résolution de la question fondamentale suivante : est-ce que l’Élysée va rompre avec la politique togolaise de la Ve République pour que le peuple togolais et les forces progressistes puissent réaliser leurs légitimes aspirations à la démocratie et au développement durable du Togo ? La réponse appartient au président Emmanuel Macron qui a promis une « nouvelle » politique africaine de la France.

L'auteur, Yao Assogba, est professeur émérite à l'Université du Québec en Outaouais.