Chronique|

Briser le mur du silence

Yan England, 35 ans, est présentement en tournage pour le prochain film de Denys Arcand.

CHRONIQUE LES GRANDES ENTREVUES / Acteur, animateur, scénariste, producteur et réalisateur, Yan England est tout ça. Gagnant de quatre prix Artis pour émission jeunesse et mis en nomination en 2013 pour l’Oscar du meilleur court-métrage de fiction pour son film «Henry , on le reverra sur le grand écran en 2018 dans le prochain film de Denys Arcand, Le Triomphe de l’argent , ainsi que dans le film La Bolduc.


Mais Yan England porte un nouveau chapeau, depuis quelques jours. Soit celui de porte-parole de la campagne Contre l’intimidation : agissons du ministère de la Famille. Et on n’aurait pu mieux choisir comme porte-parole que le réalisateur du film 1:54 , un long-métrage bouleversant qui propose aux spectateurs la vision des choses d’une jeune victime d’intimidation. Celui-ci se nomme Tim (joué par Antoine Olivier Pilon), un adolescent de 16 ans qui est victime d’intimidation depuis le début de son secondaire et qui décide d’affronter son bourreau sur une piste d’athlétisme. L’histoire de Tim ne laisse personne indifférent.

« J’ai tout de suite accepté de m’impliquer dans cette campagne du gouvernement du Québec, c’était une suite logique au film (1:54) que j’ai réalisé, explique Yan England. Le film n’est pas un documentaire, c’est de la fiction. Mais il est basé sur plein d’histoires vraies. Tout ce qui se passe dans le film est réellement arrivé. Ce n’est pas l’histoire d’une seule personne, mais bien celle de plusieurs jeunes. Donc d’être porte-parole de cette campagne est une continuité dans cette optique d’ouvrir un dialogue pour combattre la loi du silence qu’est l’intimidation. Parce que l’intimidation crée une loi du silence. Les victimes ne veulent pas en parler parce qu’elles ont peur. Elles se disent : ‘«si j’en parle, j’ai peur que ce soit pire’. Mais il faut oser ouvrir ce dialogue-là. Il faut en parler. C’est notre devoir d’agir parce qu’on a tous une responsabilité. »

En septembre dernier, Yan England a été nommé par la République française au grade de chevalier de l’Ordre des arts et des lettres. En lui remettant ce prestigieux titre, la ministre française de la Culture et des Communications, Audrey Azouley, a déclaré : « Même si votre carrière ne saurait se limiter au seul film «1:54», force est de souligner l’importance de celui-ci, qui aborde un sujet sociétal sensible, l’intimidation à l’école ». 

Et plusieurs intervenants du monde de l’éducation d’ici ont suggéré que ce film de Yan England soit obligatoire dans les écoles secondaires du Québec, et même du pays et d’ailleurs dans le monde. Qu’en pense le principal intéressé ?

« J’adorerais ça, lance-t-il. Si un visionnement obligatoire peut aider, je suis totalement pour ça. Tous les moyens sont bons pour ouvrir le dialogue, pour faire une brèche dans ce mur du silence. Il y a déjà eu des discussions à ce sujet en France. Et je reviens justement du Portugal où la Secrétaire d’État m’a dit que l’on compte utiliser mon film pour sensibiliser les jeunes à ce problème. Et c’est tant mieux si le film peut aider à améliorer la situation et faire prendre conscience à tous qu’on a tous un pas de plus à faire pour briser le silence de l’intimidation et de la cyberintimidation », ajoute le réalisateur québécois.

De Arcand à Spielberg

Yan England, 35 ans, est présentement en tournage pour le prochain film de Denys Arcand. « Je suis chanceux d’être sur son plateau et de voir ce maître à l’œuvre, dit-il. J’observe M. Arcand travailler et, chaque fois, c’est un cours de réalisation. J’adore l’expérience. »

Mais s’il y a une expérience que Yan England n’oubliera jamais de sa vie, c’est la soirée qu’il a passée aux Academy Awards à Los Angeles, en 2013, lors de la remise des Oscars. Il était en nomination pour le meilleur court-métrage de fiction, mais il n’a pas remporté la prestigieuse statuette. Il a toutefois réalisé son plus grand rêve, soit celui de serrer la pince à son idole, le légendaire réalisateur Steven Spielberg.

« Je tenais tellement à lui serrer la main et lui dire merci, raconte-t-il. Ses films ont nourri mon imagination quand j’étais enfant et adolescent. Il y avait une fête après la cérémonie des Oscars et tout le monde était là. Et quand j’ai finalement aperçu M. Spielberg, il était en conversation avec l’acteur Daniel Day-Lewis. Alors je me suis dit : ‘Ti-cul England, tu vas attendre ton tour’. Je n’étais certainement pas pour interrompre M. Spielberg et l’un des plus grands acteurs de notre génération. Donc j’ai attendu que leur entretien se termine. J’ai attendu pendant 21 minutes. Puis une fois leur conversation terminée, j’ai foncé. Et on jasé, M. Spielberg et moi, pendant environ cinq minutes. Et à la fin de notre entretien, il m’a dit : now, go make some movies (maintenant, va faire des films). Je vais me souvenir de ce moment-là toute ma vie. Parce que c’est à ce moment-là que je me suis dit : ‘tu vas foncer. Oui, ce sera difficile, oui ça prendra plusieurs années, mais vas-y’.

«Avant cette rencontre avec M. Spielberg, j’avais l’intention de faire un court-métrage avec 1:54. Je ne pensais pas avoir assez de guts pour faire un long-métrage. Mais le lendemain matin de la soirée des Oscars, dans ma chambre d’hôtel à Los Angeles, je me suis dit que 1:54 allait être mon premier long-métrage. J’ai décidé de foncer. Et c’est grâce à Steven Spielberg qui m’a poussé dans le dos avec ses mots : Now, go make some movies.»

«Tant mieux si le film peut aider à améliorer la situation et faire prendre conscience à tous qu’on a tous un pas de plus à faire pour briser le silence de l’intimidation et de la cyberintimidation.»

— Yan England