Paulette Gagnon: le legs d’une bâtisseuse

Paulette Gagnon est décédée mercredi soir, laissant un grand vide dans le monde théâtral franco-ontarien.

La disparition de Paulette Gagnon, mercredi soir, laisse un vide immense dans le milieu du théâtre franco-ontarien, mais aussi parmi toute la communauté culturelle œuvrant en situation minoritaire, ont souligné jeudi, de nombreux créateurs de l’Ontario français, abasourdis par ce décès survenu à 62 ans.


De Hearst, sa ville natale, à Sudbury – où ses efforts pour mettre sur pied la Place des arts du Grand Sudbury étaient sur le point de porter fruit – et de Toronto à Ottawa – où elle a œuvré pendant 15 ans, dont cinq années charnières à la direction générale de La Nouvelle Scène (LNS), de 1997 à 2001 ; c’est donc sous son mandat que l’édifice a pu voir le jour, en 1999 – les hommages et témoignages d’affection ont abondé sur les réseaux sociaux, jeudi.

Paulette Gagnon, qui a occupé d’importantes fonctions administratives au sein de structures essentielles au secteur culturel, dont Direction Jeunesse, Théâtre Action, le Conseil des arts de l’Ontario, le Théâtre français du Centre national des Arts, la Fédération culturelle canadienne-française et l’Association des théâtres francophones du Canada, laisse derrière elle « un legs immense » estime le metteur en scène Joël Beddows.

Au Conseil des arts de l’Ontario, « elle a fait une mise à jour de tous les programmes (de subventions) franco-ontariens, dans une période d’austérité, ce qui n’était pas une tâche facile », rappelle-t-il. Idem lors du projet d’implantation de La Nouvelle Scène, que Mme Gagnon « a mené à une période où les programmes [fédéraux] voués aux infrastructures [...] n’existaient pas encore. C’était donc un gros travail de représentation politique », retrace l’actuel directeur artistique du Théâtre français de Toronto. 

« Ce travail, elle l’a fait avec énormément de doigté, poursuit-il. La crise de l’Hôpital Montfort battait son plein ; c’était perspicace de sa part, de dire haut et fort que la société franco-ontarienne n’avait pas à choisir entre un théâtre et un hôpital, que c’était normal qu’on ait les deux. », évoque celui qui en 1999 était à la barre du Théâtre la Catapulte, à Ottawa.

« C’était une fonceuse et une fondatrice » qui, après avoir rempli la mission qu’elle s’était donnée, « préférait disparaître », tout simplement parce que « la gestion l’intéressait moins que la création » d’infrastructures. « Elle avait peur de s’ennuyer », estime M. Beddows, c’est pourquoi elle préférait laisser à d’autres le soin de développer ce qu’elle avait mis sur pied. 

Au service des créateurs

« Elle croyait [fondamentalement] que tout était possible en Ontario français. Que la situation minoritaire n’était pas une raison pour ne pas viser un plein développement social. Et que l’art était un moyen privilégié pour arriver à cette fin », poursuit-il.

« Son travail, c’était de nous donner les moyens de faire notre travail, nous, les créateurs. « Elle a été là à toutes les étapes : elle nous a d’abord encouragés. Ensuite, elle a encadré et a aidé à mettre au monde. [...]  Elle outillait les artistes. Elle les aimait... et c’est pour ça qu’elle a passé son temps à leur faire des cadeaux. »  Dont «la pérennité» du milieu culturel franco-ontarien. «Le fait qu’il puisse exister en Ontario un espace culturel francophone autonome, distinct du Québec, c’est une réalité tangible aujourd’hui, mais  dans les années 70, quand elle a commencé, c’était une idée complètement farfelue...» rappelle-t-il.

L’ancien directeur de la Catapulte, compagnie vouée aux talents émergents, partage aussi une pensée émue pour celle qui a toujours fait preuve d’un «amour profond pour la relève». Car, pour elle, «bâtir le milieu culturel n’avait un sens que s’il était prêt à accueillir » la jeunesse, la création, la nouveauté, et «pas seulement le répertoire». Joël Beddows se voit donc comme l’un des héritiers privilégiés de Paulette Gagnon. C’est une triste journée, mais je refuse de rester [passif, à me morfondre]. La meilleure façon de lui rendre hommage, c’est de continuer à créer et à rêver, estime le metteur en scène.

Elles et ils ont dit :

L’équipe du Théâtre du Nouvel-Ontario

«Pilier de la culture franco-ontarienne, bâtisseuse, fonceuse, grande femme d’action et de passion, Paulette Gagnon a travaillé, participé, organisé, siégé et présidé une longue liste d’organismes et d’organisations liés aux arts et à la culture franco-ontarienne.

À l’aube d’une de ses plus grandes réalisations, la naissance de La Place des Arts de Sudbury, elle sort de scène.

Paulette, ton héritage précieux, témoin de ta passion pour notre communauté, sera honoré et protégé. Au-delà de ton impressionnante feuille de route, ton authenticité, ton amour, et ta générosité auront par-dessus tout marqué le cœur des gens sur ton chemin.

Paulette Gagnon, GRANDE FEMME, mille fois merci.»


Pierre Simpson, Président de Théâtre Action

«Je me joins à tous les membres de Théâtre Action pour exprimer le bouleversement que cause le décès de Paulette au milieu culturel franco-ontarien. Je tiens aussi à exprimer toute notre gratitude. Nous avons été extrêmement choyés de la compter parmi nos plus grandes alliés et combattantes. C’est une grande visionnaire et rassembleuse qui aura inspiré, marqué et mobilisé tant d’artistes, d’artisans, de fidèles spectateurs et de souteneurs des secteurs public et privé. Nous lui devons une grande part de la réussite de projets fédérateurs de la stabilité d’organismes et de lieux importants — La Nouvelle Scène, le CNA, le TNO, l’ATFC, la FCCF et j’en passe — qui assurent la vitalité du milieu théâtral franco-ontarien. Et parmi ses multiples projets, dont la Place des Arts de Sudbury, qui connait un envol remarquable, elle trouvait encore le temps d’appuyer Théâtre Action avec ses sages conseils, son encouragement indéfectible et son sourire franc. Merci Paulette!»


Geneviève Pineault, Directrice générale de l’Association des théâtres francophones du Canada

«J’ai toujours été fascinée par la passion, le dévouement, le courage et la persévérance de Paulette. Elle m’a pris sous son aile il y a presque 20 ans et elle a été bien plus qu’une mentor. Elle a été et sera toujours une amie, une complice, une confidente. Son legs au milieu des arts et de la culture en Ontario et au Canada se fera ressentir pour des années à venir. Bon repos plus que mérité malgré qu’il soit arrivé beaucoup trop tôt.»


Benoit Roy, Président du conseil d’administration de l’Association des théâtres francophones du Canada

«Elle a été et restera toujours militante, mentore, une source de sagesse, mais avant tout créatrice de ce qui forge aujourd’hui notre milieu. Son passage à l’ATFC en tant que directrice générale n’est qu’un exemple de tout le travail de cette grande dame et de sa contribution à nos vies. Ambassadrice aux convictions indéniables, elle marquera à jamais l’histoire théâtrale franco-canadienne.»


Guy Migneault, Président du conseil d’administration de la Fondation pour l’avancement du théâtre francophone au Canada

«Je l’ai vu discuter avec des fonctionnaires, avec des créateurs, avec des directeurs de compagnies et avec des ministres. Elle était toujours la Paulette combative, tenace et clairvoyante, tout en étant douce, agréable et souriante. C’était un privilège de travailler avec elle, mais surtout de la considérer comme amie. La connaître, c’était l’aimer.»


Carol Jolin, Président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario 

«Aujourd’hui, le rideau tombe pour cette grande dame. Incontestablement, elle laisse son empreinte dans la province et dans le monde culturel et je la remercie de cet investissement personnel pour les Franco-Ontariennes et Franco-Ontariens. Au nom de l’AFO, je tiens à présenter mes sincères condoléances à sa famille et à ses proches.»


Mélanie Joly, Ministre du Patrimoine canadien

«J’offre mes plus sincères condoléances à la famille et aux proches de Paulette Gagnon, grande dame de la culture francophone au pays.»


Madeleine Meilleur, Ancienne procureure générale de l’Ontario et ministre déléguée à l’Office des affaires francophones, par le biais de Diane Désaulniers 

«Madeleine Meilleur, qui est présentement à l’extérieur du pays, me demande de transmettre ses condoléances à la famille et aux proches de Paulette Gagnon ainsi qu’à la grande famille de la Francophonie qui perd une grande bâtisseuse!


Brigitte Haentjens, Directrice artistique du Théâtre français du Centre national des arts

«Paulette Gagnon, une femme exceptionnelle dont le courage, la détermination, l’intelligence ont marqué la vie artistique et culturelle en Ontario comme ailleurs. Une amie chère. Une lumière dans la nuit. Une vie trop brève.»


Anne-Marie White, Directrice artistique et générale de La Nouvelle Scène

«Chère Paulette Gagnon, l’annonce de ton voyage ultime vers l’autre monde nous laisse un vide indéfinissable. Tu n’as jamais été sous les projecteurs, mais les gens de théâtre qui ont eu le privilège de te côtoyer ont connu ta capacité extraordinaire à croire au rêve collectif et d’y mettre le travail acharné pour qu’il advienne. Nos coeurs d’artistes et travailleurs culturels seront à jamais gravés de ton labeur et ta passion. Tu resteras présente entre les murs de tous les théâtres que tu auras bâtis. Repose en paix.» 


Joël Beddows, Directeur artistique du Théâtre français de Toronto

«Paulette était l’incarnation d’une idée très simple: le fait que nos plus belles années sont toujours devant nous, jamais derrière. [...] Elle est parmi les seules personnes a avoir été actives dans les trois grandes régions de l’Ontario français: elle avait des antennes à Ottawa, Sudbury et Toronto, et elle était respectée partout. Je ne connais pratiquement personne qui ait ce statut-là, dans notre milieu.»


Sylvie Dufour, Directrice artistique du Théâtre de l’Île

«Je perds une amie, une mentore, une femme que j’aimais comme une sœur. [...] Mes pensées vont à Félix, Marianne et Julien, qui viennent de perdre leur mère. Et à la communauté franco-ontarienne qui vient de perdre une personne comme on en voit rarement dans un siècle. [...] Nous te pleurerons longtemps, ma belle amie.»


Jean Malavoy, Directeur général du Muséoparc Vanier

Femme «exceptionnelle, [...] Paulette a été [...] le poumon respirateur du Théâtre du Nouvel Ontario de 1982 à 1996. Grâce à elle, Brigitte Haentjens et Jean Marc Dalpé ont pu rayonner avec leur théâtre, leurs créations, leurs directions. Mais en filigrane de leur action, dans la doublure de leur parole, tranquillement veillait Paulette Gagnon, soutenant le tout à bout de bras sans qu’on s’en rende vraiment compte.»