Le père, souffrant de maladie mentale, enrage de ne réussir à retrouver ni un emploi ni une place dans son bled natal. La mère, souffrant de la peur de vieillir et de ne plus plaire, accumule les aventures malgré l'étrange sentiment de fidélité qu'elle ressent pour son mari. Leur fille, souffrant des coups et injures reçus par les autres ados du village, fuit la réalité entre les lignes des romans qu'elle lit et les mains du ténébreux Franck dont elle croit être amoureuse.
Nous sommes à la fin des années 1980, à Eau-Claire, en Lorraine. Après avoir longtemps séjourné à l'étranger, Jean-Renaud et Camille décident de rentrer au bercail avec leur enfant. Or, le couple regrette rapidement d'être revenu en France : le village où l'homme et la femme ont grandi a perdu son élan de prospérité avec la fermeture de « la » source économique de l'endroit et le chômage et la pauvreté qui en ont depuis découlé.
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À l'instar de ses parents, Sybille n'arrive pas à prendre pied dans ce nouveau cadre ni à se lier avec les autres.
Jeunesse paumée et en quête de sens à donner à l'avenir, communauté repliée sur elle-même, disparitions d'adolescents, violence larvée des petits criminels, jalousies et peur de l'autre : la lente descente aux enfers des Corbin s'inscrit dans un environnement rongé par les déceptions, frustrations et illusions.
Éric Mathieu, professeur de linguistique à l'Université d'Ottawa, n'est pas spécialiste de syntaxe et de morphologie de la langue française pour rien. Il signe ici un premier roman par lequel il démontre toute sa maîtrise de son outil : il sculpte des atmosphères cauchemardesques, glauques comme des marécages ; cisèle des dialogues crus, chargés de toute la violence du mal-être de chacun ; tisse sa trame en faisant l'aller-retour entre passé et présent, et en alternant les points de vue pour mieux laisser sourdre les désirs et soupirs de Jean-Renaud, Camille et Sybille.
Plus son histoire avance, plus l'auteur fait évoluer les Corbin - et du coup, le lecteur - à cheval entre réel et onirisme, floutant délibérément les frontières entre les mondes concret et fantasmé dans lesquels il plonge ses personnages.
D'aucuns y verront une complicité d'esprit avec Maupassant ou Mauriac, entre autres. J'y ai pour ma part goûté, avec bonheur, une nouvelle plume à la personnalité forte, qui n'hésite pas à se teinter d'une agréable touche gothique.