Le Canada mis à nu

L'oeuvre soulignant l'attentat du vol 182 d'Air India, dans le cadre de l'exposition Paysage marqué

D'une intelligence plastique et historique remarquable, Paysage marqué explore les stigmates de l'histoire canadienne des 60 dernières années.


Comment présenter l'histoire récente du pays aux quelque 25 000 réfugiés syriens arrivés au Canada depuis l'automne dernier? C'est la périlleuse question que s'est posée le commissaire Kegan McFadden pour imaginer l'exposition collective Paysage marqué.

Une plongée dans le passé sombre du Canada par les arts, accessible à tous jusqu'à l'automne 2016 dans le hall du Conseil des arts du Canada. 



La leçon d'histoire débute en 1955 par une carte dessinée par David Hlynsky, Adjusting the North (2007): deux mains droites bien outillées retricotent l'Amérique du Nord à partir de l'Arctique. «En 1955, le Canada a voulu défendre le Nord de l'invasion russe, mais pour protéger sa terre, il a dû faire mal à sa population», relate le commissaire. En 1955, Jean Lesage, alors ministre du Nord canadien et des Ressources nationales, annonce une nouvelle politique pour l'administration des Inuits qui mènera à la sédentarisation forcée de ce peuple nomade. 

À rebours de l'approche traditionnelle qui célébrerait les personnalités du panthéon canadien, Paysage marqué retient surtout les stigmates de l'histoire des six dernières décennies et réserve une place de choix dans sa triste chronologie aux Autochtones. 

«Nous vivons une époque importante en ce qui a trait à ces enjeux. Une grande conversation est en train de se rétablir avec les Autochtones», souligne le commissaire McFadden.

L'art, dans cette exposition, fait à la fois oeuvre de devoir de mémoire et pansement collectif. 



Portrait sombre

La Commission de vérité et réconciliation est d'ailleurs mentionnée à plusieurs reprises dans les descriptions des pièces exposées, notamment dans To Rest and To Dream, autoportrait de Rebecca Belmore illustrant les femmes autochtones disparues ou assassinées. Une oeuvre est consacrée à la Commission: For King and Country, de Barry Ace, qui accompagne cette année 2015 marquée par le dépôt des conclusions de la Commission, l'attestation des sévices subis dans les pensionnats et leurs conséquences sur plusieurs générations d'Autochtones.

De l'histoire récente du Canada, le commissaire a retenu d'autres dates marquantes: le premier cas de VIH au pays en 1982, la crise d'Octobre de 1970, celle d'Oka en 1990, la divulgation d'abus sexuels dans le sport en 2009. «Le tableau est un peu déprimant, reconnaît le commissaire. Mais ce sont des dates importantes à souligner. Elles disent beaucoup du Canada et de notre paysage social.»

Les oeuvres associées à ces dates privilégient le rapport plastique et non générationnel: la création de Greenpeace en 1971 sera illustrée par une huile sur toile de Joanne Tod datant de 1984: un sous-bois verdoyant étampé d'un «We're fucked». Tout est dit...

La chronologie est également renversée au profit de la mise en relation des oeuvres et de leur installation dans la galerie Âjagemô. 

L'adoption de la loi C-150 (décriminalisant les actes homosexuels) en 1969 représentée par le baiser masculin de Carl Stewart côtoie la crise d'Octobre de 1970. Où est le rapport? «En deux ans, le premier ministre Pierre Elliott Trudeau a connu une forte hausse de sa popularité suivie d'un discrédit total de par le recours à la loi martiale», explique le commissaire.  



La représentation de l'histoire par des artefacts appartenant à la Banque d'oeuvres d'art du Conseil des arts évite que certains faits soient dominés par le morbide et l'obscène, au privilège de la réflexion, laissant le visiteur face à moult questionnements.

Pour y aller

Quand? Jusqu'à l'automne 2016

Où? Conseil des arts du Canada

Renseignements: 613-566-4414 ou www.conseildesarts.ca