Projet 3e oeil: dans la matrice de la création

Les lauréats du Projet 3e oeil: Marie-Soleil Provost, Joanie Charron, Alain Barbeau, Geneviève Roberge-Bouchard, Myriam Laviolette, Dave Jennis et Corine Sauvé. Sont absents: Julien Morissette et Laurence Latreille

Fruit de la collaboration entre la Ville de Gatineau et le centre artistique L'Avant-première, Projet 3e oeil vise à mieux soutenir la création locale en Outaouais. L'initiative, qui en est à sa première édition, a identifié cinq artistes professionnels ou en voie de professionnalisation, dévoilés au public plus tôt cette semaine. LeDroit vous propose les portraits des cinq lauréats, deux duos musicaux - Bijo & Sun et Geneviève RB et Alain Barbeau  - ainsi que les comédiens Dave Jenniss, Julien Morissette et la troupe du spectacle OFF.


L'Avant-première, un centre «unique en son genre»

Par la bande, le Projet 3e oeil vise à mieux faire connaître L'Avant-première, un espace «unique en son genre, dans la région» d'Ottawa-Gatineau, fait valoir sa directrice générale Claire Duguay, qui, voici deux ans, a pris les rênes de ce centre aylmerois.

Elle s'est donné le mandat de «favoriser la rétention des artistes de la région» tout en leur donnant «des outils pour qu'ils puissent proposer des projets d'aussi grande qualité que n'importe quel artiste de Montréal [...] et qu'ils soient capables de rayonner au Québec, au Canada et même dans le monde».

L'Avant-première est un organisme sans but lucratif fondé en 1987 sous le nom de Centre de production en arts de la scène, et spécialisé dans la «prédiffusion». Situé dans le même édifice que le Conservatoire de musique et Culture Outaouais, sur le boulevard Alexandre-Taché, il s'est donné le mandat de favoriser le développement des créations professionnelles en offrant «des services d'accompagnement» aux organismes culturels et aux artistes. 

On peut y louer cinq espaces (salle de répétition; local insonorisé; studio avec scène amovible et régie, etc.) spécifiquement conçus pour répondre aux besoins des artistes en processus de création. Le centre dispose aussi d'équipements d'enregistrement. Le lieu est donc «idéal pour tester des idées artistiques, échanger» avec les autres artistes, et «se frotter au regard critique de ses pairs ou des professionnels de l'industrie», estime Mme Duguay. 

Mais L'Avant-première demeure toutefois «encore trop méconnu», convient la directrice générale, qui siège depuis des années sur le CA de l'organisme. Le centre, explique-t-elle, a longtemps constitué le quartier-général de la troupe L'Artishow, qui nolisait l'essentiel des espaces, et le milieu artistique a fini par oublier qu'il pouvait avoir accès aux lieux. Mais depuis que L'Artishow a déménagé - en début d'année, dans «l'axe culturel» de la rue Montclam, au numéro 217 - les locaux aylmerois sont désormais vacants.

Ce Projet, dans lequel la Ville de Gatineau a investi 25 000 $, est ainsi une façon temporaire d'aider à payer le loyer, en attendant que le bouche à oreille fasse son travail. Les lauréats de 3e oeil pourront en effet utiliser les locaux 40 heures par mois. Ils bénéficieront en outre de sessions de formation données via Culture Outaouais, une fois précisément identifiés les objectifs et besoins des artistes.

«Un bijou sous-estimé» - Julien Morissette

<p>L'artiste et chroniqueur culturel à ICI Radio-Canada, Julien Morissette</p>

L'artiste et chroniqueur culturel à ICI Radio-Canada, Julien Morissette

(Simon Séguin-Bertrand, LeDroit/Simon Séguin-Bertrand, LeDroit)

Le chroniqueur culturel à ICI Radio-Canada Julien Morissette est ravi de pouvoir disposer, grâce au Projet 3e oeil, d'un espace de création qui lui permettra de peaufiner En direct de l'Isle-aux-Allumettes, un spectacle qu'il est en train de créer, et dont il s'apprête à présenter la première mouture, dès jeudi 31 mars, à l'Espace René-Provost, dans le cadre des «cartes blanches» du Théâtre de l'Île.

Il n'est pas anodin de mentionner que la directrice artistique du Théâtre de l'Île, Sylvie Dufour, siégeait - au côté de la responsable de la programmation des salles Jean-Despréz et La Basoche, Chantal Lamoureux, et du musicien Dominique Saint-Pierre - sur le jury de 3e oeil. Les deux femmes ont d'ailleurs puisé dans leurs budgets respectifs pour «rallonger» le coup de pouce financier de la Ville, afin d'inclure deux projets de plus que les trois initialement prévus. 

«L'Avant-première est un bijou sous-estimé par les artistes de la région», argue Julien Morissette, qui n'en est pas à ses premiers pas sur scène - il fut une des roues de la formation Tracteur Jack. Il y voit «un lieu parfait pour le rodage» de son spectacle, pour lequel il a de grandes ambitions. En direct de L'Isle-aux-Allumettes est «un concept assez inusité: il y a de la radio sur scène et ça mêle la création musicale, la tradition orale du conte et le théâtre», pour lequel il a travaillé en collaboration avec le musicien Steven Boivin et deux complices radio-canadiens, Jean-Denis Scott et David Thibodeau, qui ont signé les revues de l'année humoristiques Autopsie au Théâtre de l'Île. 

À présent, «je vais avoir besoin de parler à des spécialistes en mise en scène, en interprétation». Or le centre est dirigé par la musicienne et chanteuse Claire Duguay, de longue date spécialisée dans l'encadrement des émergents, secondée par d'autres professionnels du domaine, comme Jo-Anne Donoghue. «C'est très important pour les artistes d'avoir un lieu pour se connaître, échanger, s'entraider», explique cette dernière. L'organisme Culture Outaouais est hébergé dans le même édifice. «C'est tout un écosystème artistique», sourit-elle, qui vient renforcer «l'enracinement des artistes en Outaouais».

Aussi M. Morissette se dit-il ravi de pouvoir attendre d'elles «des conseils et un regard critique, alors que les amis artistes n'ont pas toujours la distance pour le faire». Il rappelle aussi qu'on dispense au centre d'appréciables formations.

Être lauréat de 3e oeil «va me permettre de mettre en place un plan de travail et un cahier de production (cahier technique) avec un véritable plan d'éclairage», illustre-t-il.

Dans ce show - qui sera vraisemblablement webdiffusé - il campera l'animateur d'une radio communautaire de L'Isle-aux-Allumettes, qui entreprend d'élucider cinq meurtres survenus dans cette île du Pontiac. Un spectacle «plein de mystères et de rebondissements», donc, pour lequel il avoue s'être inspiré du concept de This is That, une émission de «docufiction» humoristique présentée sur les ondes de CBC Radio One, où l'on traite d'actualité, mais où il arrive fréquemment que les animateurs «refabriquent» l'information à leur manière.

Partager la scène avec Fil

Du 31 mars au 2 avril, à 20h, Julien Morissette partagera la scène de l'Espace René-Provost avec Fil, le spectacle «carte blanche» de Daniel Gagnon. Ce dernier propose, en compagnie de Marie-Josée Bernier, Marc Charron, Rock Gagnon et Serge Paquette, «des histoires chargées d'émotions et d'indignations qui ne laissent personne indifférent.»

Réservations: 819-243-8000

«Du temps et de l'espace» - Dave Jenniss

<p>Le comédien Dave Jenniss</p>

Le comédien Dave Jenniss

(Simon Séguin-Bertrand, LeDroit/Simon Séguin-Bertrand, LeDroit)

«On crée pour montrer. Ça ne sert à rien de faire les choses dans son coin», expose le comédien Dave Jenniss, ravi de disposer «de temps, d'espace et de tranquillité» grâce au Projet 3e oeil, qu'il qualifie de «très belle initiative».

Les lieux de création sont rares et précieux, soutient celui qui travaille sur son quatrième texte dramaturgique, Mokatek et l'étoile disparue, un conte teinté par ses origines métisses. Comme les jeunes comédiens ont du mal à trouver du travail au sein des troupes établies, ils sont nombreux à se créer des rôles et des projets sur mesure, et les espaces propices à la création sont vite accaparés, explique le comédien, qui a participé à de nombreux projets montréalais.

À titre d'auteur, il a fini d'écrire la pièce Delphine rêve toujours, qui sera montée par le Théâtre de la Vieille 17. Sa résidence à L'Avant-première lui permettra de perfectionner l'art de la manipulation d'objets et de marionnettes, qui seront au coeur de Mokatek, pièce qu'il destine au très jeune public. Ce conte traitera de la relation entre un petit garçon et son grand-père décédé, dont l'enfant retrouvera le tambour sacré. L'idée lui est venue à la suite d'une expérience chamanique et «cosmique», dans une tente de sudation. Il compte présenter ce spectacle sous tente, afin de «recréer la sensation de retour dans le ventre de la mère, l'ambiance de sweatlodge et de ciel étoilé».

À L'Avant-première, il entamera «un travail d'épure» pour faire de son conte «une histoire universelle avec très peu de texte». Et il travaillera en profondeur la gestuelle .

«Un soupir de soulagement» - Bijo & Sun

<p>Le duo Bijo &amp; Sun, Joanie Charron et Marie-Soleil Provost</p>

Le duo Bijo & Sun, Joanie Charron et Marie-Soleil Provost

(Simon Séguin-Bertrand, LeDroit/Simon Séguin-Bertrand, LeDroit)

Joanie Charron et Marie-Soleil Provost se sont fait connaître sous le nom de Bijo & Sun, leur duo country-folk. «La réception est bonne, mais on a toujours besoin de peaufiner les choses, témoigne Mme Provost, heureuse de pouvoir se lancer dans une «démarche exploratoire» dans le confort du centre aylmerois, grâce au Projet 3e oeil.

«Aux débuts, il faut jouer beaucoup, alors on a fait énormément de scène... mais on a dépassé cette étape, enchérit l'autre lauréate du duo. À présent, il faut se grounder, se calmer, comme dit Claire [Duguay]. C'est le temps de travailler la mise en scène, les déplacements, et toutes ces petites choses qui nous donneront une petite coche de plus avant de présenter notre spectacle.»

Le duo franco-ontarien, qui ces derniers temps travaillait beaucoup dans le studio d'Andre Papanicolaou, n'aura plus à faire d'incessants aller-retour en voiture jusqu'à Montréal. «Pour nous, c'est un soupir de soulagement. On avait vraiment besoin de ça maintenant, ce regard-là. Un 3e oeil, justement», poursuit Joanie Charron.

Déjà lauréates des vitrines 2015 de Gatineau prend la scène, Bijo & Sun profitera de cette initiative pour se consacrer aussi à l'écriture d'un album aux «sonorités plus country-folk irlandaises».

«On sait qu'on va pouvoir compter sur Chantal Lamoureux», s'enthousiasme Mme Charron. «C'est rassurant, car elles savent qu'on veut avoir de l'aide de A à Z, à toutes les étapes de développement», opine la responsable de la programmation des salles La Basoche Jean-Despréz, Mme Lamoureux, qui était aussi membre du jury de 3e oeil. 

De A à Z... ou du moins de A à «L», puisque le duo fera cet automne la première partie de Lisa Leblanc, dans l'une des deux salles gatinoises. La date sera annoncée prochainement.

«Les moyens de fignoler» - Alain Barbeau et Geneviève RB

<p>Le duo d'auteurs-compositeurs-interprètes gatinois Alain Barbeau et Geneviève RB</p>

Le duo d'auteurs-compositeurs-interprètes gatinois Alain Barbeau et Geneviève RB

(Simon Séguin-Bertrand, LeDroit/Simon Séguin-Bertrand, LeDroit)

Le programme de résidence de 3e oeil permettra au duo d'auteurs-compositeurs-interprètes gatinois Geneviève RB & Alain Barbeau [RB pour Roberge-Bouchard] de préparer le spectacle de tournée de leur prochain album. La sortie de ce disque intitulé On est les deux - référence au fait que le duo scénique est aussi un couple dans la vie - était prévue pour mars.

Le guitariste et sa pianiste bien-aimée ont préféré repousser à l'automne la parution de ce disque aux accents pop-folk qu'ils ont réalisé chez Jeannot Bournival, le grand complice de Fred Pellerin. Son frangin Nicolas Pellerin y joue d'ailleurs du violon.

«On va avoir les moyens de fignoler le disque, mais aussi de mieux préparer cette sortie», explique Alain Barbeau en faisant valoir que trop de disques aujourd'hui, «passent dans le beurre», non pas parce qu'ils sont de mauvaise qualité, mais parce que leur sortie, précipitée ou bâclée, passe inaperçue. Son premier album solo, où il faisait découvrir ses talents de fingerpicking, avait souffert d'une telle sortie un peu confidentielle, se souvient-il.

Moins de stress - collectif «Off»

<p>Corine Sauvé et Myriam Latreille, du collectif <i>Off</i></p>

Corine Sauvé et Myriam Latreille, du collectif Off

(Simon Séguin-Bertrand, LeDroit/Simon Séguin-Bertrand, LeDroit)

Coécrite par les comédiennes de l'Université d'Ottawa (Ud'O) Laurence Latreille, Myriam Laviolette et Corine Sauvé (épaulées par Charles Rose et Pascale Lemay), la pièce Off a été présentée en octobre dernier dans le cadre des «cartes blanches» exploratoires du Théâtre de l'Île (TDI). 

Il s'agissait toutefois d'une version préliminaire de ce spectacle qui dresse un portrait humoristico-réflexif sur la condition féminine et les inégalités de genre.

Le collectif est on ne peut plus heureux d'avoir pu intégrer le Projet 3e oeil, car il voudrait présenter une version émancipée, plus longue et plus professionnelle de son oeuvre. Or «il y a peu, voire pas, de locaux disponibles à l'Ud'O» et rien de similaire du côté d'Ottawa, constate Myriam Laviolette. «L'accès à ce matériel est très dispendieux. Ça nous dispense de plein de coûts et de toutes sortes de préoccupations logistiques», la seconde Corine Sauvé. L'équipe va pouvoir se concentrer sur «la réécriture, [...] suivre des formations et profiter de la rétroaction des gens du milieu», accrédite-t-elle.  

Les locaux d'Aylmer étant assez spacieux, «on va pouvoir inviter d'autres artistes» pour se faire aiguiller, poursuit Mme Laviolette.

La directrice du TDI, Sylvie Dufour, se réjouit de voir que le Centre L'Avant-première viendra faciliter la mise sur pied d'éventuelles suites aux projets créés sous son égide. «Ç'a toujours été mon souhait, que ces cartes blanches mènent à des projets plus structurés», rappelle-t-elle.