Deux heures sans service dans le Pontiac

Des milliers de personnes, peut-être 15000, ont été coupées du monde pendant une nuit, la semaine dernière, dans le Pontiac. Plus de téléphone, plus d'Internet.


Une population entière n'avait même plus accès aux services d'urgence du 9-1-1. Il était impossible pour le centre hospitalier d'accéder à ses bases de données informatiques hébergées à Gatineau.

Avec un réseau cellulaire très peu fiable sur le territoire du Pontiac, les services publics comme l'ambulance, la police, les pompiers et les établissements de santé étaient pour des milliers de personnes carrément inaccessibles pendant deux heures, dans la nuit de mercredi à jeudi dernier, à la grandeur de la MRC.



Aujourd'hui, la MRC Pontiac pointe du doigt la compagnie Bell. Déjà à couteaux tirés avec le géant de la téléphonie, la MRC explore maintenant la possibilité de recours juridiques. La compagnie exécutait des travaux sur son réseau et savait qu'elle devait couper le service. Elle n'a cependant pas pris la peine d'avertir les services d'urgence qu'une panne majeure allait survenir.

Pour le préfet de la MRC, c'est la goutte qui fait déborder le vase. «Ça n'a pas de sens rire du monde comme ça, ils ont joué à la roulette russe avec la population du Pontiac, lance Raymond Durocher. Ils jouent avec des vies humaines. Est-ce que ça va prendre une enquête du coroner après un événement tragique pour que les choses changent?»

Plusieurs incidents

Ce n'est pas la première fois que le Pontiac est laissé à lui-même de la sorte par la compagnie Bell, le seul fournisseur de services dans le secteur. Il y a eu au moins quatre incidents du genre au cours des six dernières années, a appris LeDroit. En 2008, la panne avait duré toute une journée, la même chose en 2014.



Malgré de nombreuses pressions politiques au fil des ans et une plainte officielle au CRTC, Bell et ses filiales refusent d'investir pour doter le Pontiac d'une ligne de redondance, une ligne d'urgence permettant de relier le territoire desservit au reste du réseau quand la ligne principale est coupée.

Bell n'a pas donné suite aux demandes d'entrevue du Droit.

Le Pontiac ne décolère pas

Les compagnies de téléphone nous rient au nez. Les maires de tout le Pontiac devraient recommander à leur population de cesser de payer leur facture de téléphone. Peut-être que là, elles comprendraient.»

Le préfet de la MRC Pontiac, Raymond Durocher, ne décolère pas, une semaine après une panne majeure du service de téléphonie et d'Internet qui a touché tout le territoire. Il n'est pas le seul. C'est toute la communauté qui se mobilise actuellement pour faire comprendre à Bell l'importance d'investir pour doter le Pontiac d'une ligne de redondance.

La MRC a multiplié les tentatives depuis 2012 pour forcer la compagnie Bell à investir dans ses infrastructures du Pontiac. Rencontre entre les maires de la MRC et la compagnie, pressions politiques et plaintes au CRTC, rien n'y fait. La MRC Pontiac envisage maintenant des procédures légales.



«Le Pontiac est pauvre, mais nous ne sommes pas 300 ans en arrière, affirme M. Durocher. La technologie est là pour régler notre problème. C'est la volonté des compagnies qui manque.»

Trop cher pour Bell

Des échanges de lettres entre la compagnie Bell et la MRC - dont LeDroit a obtenu copie - démontrent qu'il n'est absolument pas dans les cartons du géant de la téléphonie d'investir pour de la redondance dans le Pontiac. «Dans le cas de la MRC Pontiac, les travaux nécessaires à l'implantation d'une telle redondance nécessiteraient des investissements importants et Bell ne peut, pour l'instant, en assurer la réalisation», écrivait en juillet dernier, le directeur principal aux affaires réglementaires de Bell Aliant (filiale de Bell), Michel Gilbert. Bell n'a pas donné suite aux demandes d'entrevue du Droit.

Le député de Pontiac, André Fortin, est bien au fait du dossier. «C'est une situation problématique qu'on voit à bien des endroits au Québec, mais qui a une ampleur peut-être plus grande qu'ailleurs dans le Pontiac», dit-il.

Ce dernier souligne que de tels travaux représenteraient des coûts importants pour la compagnie. Il n'est pas prêt à demander que Québec intervienne dans la téléphonie comme le gouvernement l'a fait la semaine dernière avec l'imposition des gicleurs dans les résidences de personnes âgées. «Il faudrait étudier la question, dit-il. En attendant, la moindre des choses, ce serait que la compagnie revoit ses procédures lorsqu'elle fait des interventions et de l'entretien sur son réseau.»

M. Fortin entend multiplier les efforts au cours des prochaines années pour que les compagnies de réseaux cellulaires offrent une meilleure desserte dans le Pontiac.

L'hôpital privé de sa base de données

Chaque fois qu'une panne de téléphonie ou de fibre optique survient dans le Pontiac, le Centre de santé et de services sociaux du Pontiac doit se mettre en gestion de crise.



Les patients hébergés ne sont pas en danger, assure d'entrée de jeu Trevor Tanguay, gestionnaire des services techniques, de l'informatique et des mesures d'urgence de l'établissement. Toutefois, toutes les bases de données informatiques de l'établissement, hébergées à Gatineau, deviennent instantanément inaccessibles.

«Ça nous empêche aussi de transmettre certains examens de radiologie aux spécialistes à l'Hôpital de Gatineau quand nous n'avons pas de radiologiste sur place, ajoute M. Tanguay. Nous faisons l'examen, mais nous ne pouvons pas transmettre les images. Il peut y avoir des situations urgentes. Ce sont alors nos médecins, sur place, qui doivent lire l'examen, selon leur bon jugement.»

M. Tanguay précise que le gouvernement du Québec a octroyé un important contrat à la compagnie Telus, il y a quelques années, pour assurer une ligne de redondance pour les hôpitaux de la province. «Le travail a été fait à moitié, dit-il. Notre ligne d'urgence ne sort pas du Pontiac. Ça devrait être fait.»

Des considérations privées entre Telus et Bell auraient empêché les travaux de se faire, même si l'argent a été versé.

Le député de Pontiac, André Fortin, dit être «anxieux» devant cette situation. «Il y a une obligation pour le fournisseur d'offrir le service, dit-il. Telus a fait une offre technique au ministère et elle est à l'étude. Nous devrions pouvoir aller de l'avant ce printemps. Ce ne sera pas trop tôt. On ne peut pas laisser un hôpital sans contact, comme ça, pendant une période prolongée. Ça peut créer des situations dangereuses pour la clientèle.»