Le pouvoir immense des mots

«Adolescente, je lisais énormément. [... J'appréciais la portée qu'ils pouvaient avoir, raconte Mme Martin. Aujourd'hui, je m'intéresse plus au pouvoir évocateur des histoires que je raconte.»

Traductrice, réviseure et auteure, Marie-Josée Martin travaille depuis longtemps avec les mots. Elle en connaît aussi intimement le pouvoir. Vivant elle-même avec un handicap, l'Ottavienne d'adoption a d'ailleurs prêté sa plume à la petite Corinne pour écrire Un jour, ils entendront mes silences, publié aux Éditions David et grâce auquel Mme Martin vient de recevoir le Prix du livre d'Ottawa. Aujourd'hui, LeDroit et ICI Radio-Canada lui décernent le titre de Personnalité de la semaine.


Marie-Josée Martin a été «sensibilisée» très jeune au poids des mots.

À 10 mois, un neuroblastome métastasique lui a fait perdre l'usage de ses jambes. Se déplaçant depuis en fauteuil roulant, la quadragénaire se souvient d'avoir entendu des gens demander à ses parents pourquoi ils ne l'avaient pas institutionnalisée.

«Je suis née en 1969. À cette époque, selon certaines personnes, j'aurais dû être cachée... De plus, on était loin de parler d'intégration en milieu scolaire», raconte la traductrice, réviseure et auteure d'Ottawa.

D'abord élève dans une école spéciale, elle a été intégrée dans des classes régulières au secondaire. «Pour plusieurs, j'étais comme une extraterrestre! Il y a d'ailleurs des gens que j'ai salués pendant les cinq ans du secondaire qui ne m'ont jamais répondu...»

Parallèlement, Marie-Josée Martin a vécu le passage du mot infirme à personne handicapée pour désigner ceux qui, comme elle, vivaient avec un handicap physique.

«À 12, 13 ans, j'étais assez vieille pour comprendre l'importance d'un tel changement. D'autant que je sentais que ça modifiait un peu le regard des gens», se souvient-elle.

Une écriture engagée

Il ne faut donc pas s'étonner qu'en prenant la plume, cette native de Montréal, établie dans la capitale nationale depuis plus de 20 ans, ait opté pour une écriture engagée.

Son plus récent roman, Un jour, ils entendront mes silences, vient d'être couronné du Prix du livre de la Ville d'Ottawa. L'auteure a également été en lice pour le prestigieux Prix Trillium, avec ce titre, qui met en scène la petite Corinne, lourdement handicapée, incapable de parler, et à qui Mme Martin prête sa voix pour relater son quotidien.

Si l'auteure n'a pas cherché à imposer sa vision des choses, elle ne cache pas avoir voulu provoquer le questionnement des lecteurs, notamment sur la valeur d'une vie, en relatant l'histoire de Corinne et de son entourage. Un entourage incluant entre autres une mère qui fait abstraction de ses désirs et besoins pour subvenir à ceux de sa fille, et un père convaincu que sa fille souffre et découragé de la savoir consciente de ses limites.

«Adolescente, je lisais énormément et j'écrivais parce que j'aimais les mots et j'appréciais la portée qu'ils pouvaient avoir. Aujourd'hui, je m'intéresse plus au pouvoir évocateur des histoires que je raconte, par la possibilité qu'elles m'offrent de transmettre un savoir, des valeurs, des messages, sans pour autant faire la morale à qui que ce soit, ni prendre parti. Je préfère laisser aux gens tout l'espace dont ils ont besoin pour interpréter ce que j'écris à leur manière», souligne Mme Martin.

Cette dernière apprécie à sa juste valeur la reconnaissance de ses pairs, qui s'est concrétisée par des nominations et ce récent prix de sa ville d'adoption. Mais elle avoue, du même souffle, que plus encore, ce sont les nombreux témoignages reçus depuis la sortie d'Un jour, ils entendront mes silences qui la touchent particulièrement.

«Bien des lecteurs sont venus me voir, dans les salons du livre, par exemple, pour me dire que mon roman avait modifié leur manière de percevoir les personnes handicapées. Des commentaires comme ça sont autant de cadeaux. Car lorsqu'on entreprend l'écriture d'un tel livre, on a évidemment des intentions, mais on doute toujours d'atteindre son but.»

Jumelés aux honneurs, ces témoignages l'encouragent à continuer.

«Ça me conforte dans ma volonté d'utiliser les mots à bon escient», mentionne celle qui planche déjà sur un troisième roman, tout en menant une carrière de traductrice et réviseure au sein du gouvernement fédéral.

Mettre la culture en valeur

Marie-Josée Martin signe aussi une chronique livres dans le magazine de la LCBO À bon verre, bonne table depuis 10 ans.

Cette chronique est le résultat d'un réseautage établi dans un «esprit de solidarité» au sein de la communauté artistique de la région.

«Je crois à cette solidarité entre artistes, puisque nous sortons tous gagnants quand la culture est mise en valeur», fait valoir Mme Martin.

D'ailleurs, en compagnie de huit autres femmes de tous horizons, elle vient de lancer un programme de microsubventions pour les artistes féminines d'Ottawa-Gatineau: les bourses Tontine.

«À neuf, nous avons mis en commun nos ressources et talents afin d'encourager la créativité des femmes d'ici, professionnelles ou non, et peu importe la forme d'expression qu'elles préconisent», explique Mme Martin, l'une des administratrices des bourses.

La première, d'un montant de 500$, sera remise en janvier 2014.

vlessard@ledroit.com