Gilles Provost, l'homme de théâtre

À la retraite de son poste de directeur du Théâtre de l'Île depuis quatre ans, Gilles Provost est cependant loin d'avoir quitté les planches. Pour l'homme de 75 ans, le théâtre, c'est toute sa vie.

Gilles Provost a pris sa retraite de son poste de directeur du Théâtre de l'Île, il y a quatre ans. Mais il n'a pas pris sa retraite du théâtre.


Aujourd'hui âgé de 75 ans, il joue toujours. Et il est autant en demande qu'à ses débuts.

Quand on lui demande s'il s'arrêtera un jour pour profiter de la vie dans sa merveilleuse maison patrimoniale du Vieux-Hull qu'il partage avec son conjoint des 35 dernières années, Claude Jutras, il esquive la question et parle plutôt de trois pièces de théâtre qu'il veut bientôt monter, dont une qui mettrait en vedette sa bonne amie, la grande Viola Léger.



Gilles Provost n'arrêtera jamais, semble-t-il. Parce que comme il dit: «Le théâtre, c'est ma vie.»

* * *

C'est dès l'âge de 10 ans qu'il a eu «la révélation».... par erreur. Il raconte:

«J'habitais dans la Basse-Ville (d'Ottawa) sur la rue Saint-André, à côté de l'Académie De La Salle, là où une compagnie de théâtre anglophone s'était installée à l'époque pour présenter une nouvelle pièce par semaine.



«J'étais enfant et j'aimais beaucoup aller voir des films avec ma grand-mère au Cinéma français sur la rue Rideau. Donc quand j'ai vu l'affiche de la pièce de théâtre que la troupe anglophone avait placée sur le mur de l'Académie, je pensais qu'il s'agissait d'un film. Je ne comprenais pas un mot d'anglais à l'époque. Donc j'ai acheté mon billet à 25 cents et je suis allé voir, par erreur, une pièce de théâtre. C'était un samedi après-midi. Le 15 mai 1948 pour être exact.

- Vous vous souvenez de la date!?, que je lui demande, stupéfait.

- Je ne m'en souvenais pas, répond-il en souriant. C'est que j'ai trouvé le programme de cette pièce dans mes archives, il y a quelques jours. Claude est un archiviste. Il conserve tout, tout, tout. Comme je dis toujours: le seul papier que je peux jeter dans cette maison, c'est le papier de toilette! (Rires.)

- Donc vous êtes allé voir la pièce en anglais?

- C'est ça. Et même si je ne comprenais pas l'anglais, cette pièce m'a jeté à terre. Les gens dans la salle riaient, puis ils pleuraient. Puis les rires sont revenus. Et à la fin, les gens se sont levés pour applaudir à tout rompre. Quand je suis rentré chez moi, j'ai dit à ma mère: "Je sais ce que je vais faire un jour. Je vais faire rire et faire pleurer les gens." Et dès l'école primaire, je montais des pièces de théâtre dans ma classe. Et ça n'a pas arrêté depuis.»

(Au cours de sa carrière professionnelle, Gilles Provost a signé la mise en scène de 165 productions et joué dans tout près de 90 pièces.)



Sa mère l'a appuyé dès le début. Son père, par contre, ne voulait rien entendre du théâtre. Son unique fils allait devenir avocat, point à la ligne.

«Mon père me disait que j'allais crever de faim dans ce milieu. Et il n'est jamais venu me voir jouer. De venir s'asseoir dans la salle pour me voir jouer aurait été un signe d'approbation de sa part. Mais quelques jours après son décès, ma mère a trouvé dans l'un des tiroirs de mon père des dizaines de coupures de presse de critiques de mes pièces et d'entrevues que j'avais accordées. Mon père les avait toutes lues et toutes conservées. C'est là que j'ai su qu'il était fier de moi, après tout.»

De Montréal au Théâtre de l'Île

Gilles Provost a déménagé à Montréal en 1963 où il a travaillé à la télévision (notamment à l'émission Moi et l'autre), sur scène, à la régie et à la mise en scène avec les plus grands du théâtre québécois.

En 1969, il est revenu à Ottawa pour travailler au Centre national des arts (CNA) qui venait tout juste d'ouvrir ses portes. Il y a monté des pièces de théâtre pendant 10 ans, tout en fondant le Théâtre des Lutins et en enseignant au département de théâtre de l'Université d'Ottawa.

En 1976, la Ville de Hull lui a confié la direction du tout nouveau Théâtre de l'Île, le seul et unique théâtre au Québec soutenu en quasi-totalité par une municipalité.

Mais il a accepté ce poste de directeur à une condition: que le Théâtre de l'Île ne soit pas un endroit pour y présenter uniquement du théâtre amateur, comme le souhaitaient les élus, mais bien du théâtre professionnel, ainsi que du théâtre communautaire (un mot qu'il préférait au mot «amateur» parce que «communautaire» voulait dire des gens de théâtre d'ici).

«J'avais quitté l'Outaouais pour Montréal parce qu'il n'y avait plus moyen de faire du théâtre ici, explique-t-il. Mais avec l'arrivée du CNA, il était maintenant possible de faire du théâtre professionnel ici, pour les acteurs et actrices d'ici. Comme j'ai dit aux élus pour les convaincre: "Une ville où il n'y a pas d'artistes en résidence est une ville pauvre." J'ai obtenu le poste, et j'ai fait les choses à ma façon pendant les 33 années suivantes.



- Trente-trois belles années?, que je lui demande en fermant mon calepin de notes.

- Ah oui, répond l'homme de théâtre. De merveilleuses années. Les plus beaux moments de ma vie, c'est au théâtre que je les ai vécus. C'est là que j'ai pu faire rire et faire pleurer les gens.»